Une maladie exogène, maléfique ?
Société inclusive
« Ce que l’on a tendance aujourd’hui à appeler « maladie d’Alzheimer et troubles apparentés », et que le discours médical continue à désigner par le terme de « démences », fait peur, écrit Nathalie Rigaux, professeur de sociologie aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur (Belgique), pour qui les représentations sociales et les représentations savantes « s’appuient sur le même sol anthropologique en dépit de la prétention scientifique à faire rupture avec le sens commun ». Certains proches de malades s’attachent à voir la maladie comme exclusivement exogène. L’époux d’une femme au stade modéré de la maladie et qui présente des comportements agressifs déclare ainsi : « cela m’a fait un bien fou, au Café Alzheimer, d’apprendre que c’était une maladie qui n’avait rien à voir avec elle, ni avec moi ». La sociologue retrouve, dans le discours des proches, « une anthropologie rationaliste », « un rapport à l’altérité marqué par le rationalisme ambiant, qui fait qu’avec l’avancée de la maladie, l’humanité va être perçue comme se dégradant, pour disparaître progressivement par un retour à l’enfance, à l’animalité, à l’état végétatif, voire minéral : dans Ton chapeau au vestiaire, Nadine Trintignant, rendant visite à son frère hébergé en unité spécifique Alzheimer, décrit la salle de séjour comme « un aquarium de tristesse » ; dans Je ne suis pas sortie de ma nuit, Annie Ernaux décrit sa mère : « Elle portait aujourd’hui une robe de chambre à fleurs, le tissu était plein de poils tirés par l’usure. Fugitivement, ma mère m’a paru couverte d’un pelage de bête ». Quant aux associations, elles revendiquent l’oubli du terme de démence, préférant les termes de maladie d’Alzheimer et maladies apparentées. La sociologue s’étonne de l’attachement à cette dénomination : « le “respect” qui y est attaché est-il celui qui entoure une maladie réputée organique, exogène, éloignant le spectre de la maladie mentale (tout, même Alzheimer, mais pas “fou” ?) »
Rigaux R. Représentations médicales et sociales de la maladie d’Alzheimer. Etudes 2012 ; 4166 : 761-770. Juin 2012.