Une journée vraiment mondiale
Édito
Jamais peut-être Journée mondiale Alzheimer ne mérita autant son nom. Il semble bien que, dans le monde entier, – et pas seulement dans les pays les plus développés -, des gouvernements, des associations, des médecins prennent enfin conscience de l’enjeu et mettent en œuvre des actions plus ou moins fragmentaires, qui constituent un premier encouragement pour les personnes atteintes et leurs familles. Le rapport annuel d’Alzheimer’s Disease International lance un cri d’alarme : 35,6 millions de personnes de personnes vivent aujourd’hui avec la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée ; leur nombre devrait doubler tous les vingt ans. ADI , qui salue les initiatives de la Commission européenne, prises sur proposition française, adresse huit recommandations aux décideurs politiques, centrées autour d’une idée-force : faire de la maladie une priorité nationale et développer des stratégies de service et de soutien, ce qui est déjà le cas notamment en France, en Ecosse, en Angleterre, en Norvège, aux Pays Bas, en Australie, en Corée du Sud (Alzheimer’s Disease International , World Alzheimer Report 2009, 21 septembre). Et cet appel commence peut-être à être en partie entendu, dans des pays aussi divers que le Brésil, le Mexique, le Venezuela, la Chine, l’Inde, Singapour…
La première étape, la plus fondamentale, c’est bien sûr de mettre la personne malade au centre de tout dispositif . De la reconnaître dans sa souffrance. Dans son individualité irremplaçable.
Il est désormais prouvé que des soins centrés sur la personne (dementia care mapping ) ont un effet déterminant sur les troubles du comportement liés à la maladie. Le Centre médical universitaire de Groningue (Pays-Bas) a montré que la mise en place de tels soins diminue les troubles de type affectif (anxiété, défiance, mélancolie) et l’agitation verbale (Tijdschr Gerontol Geriatr , juin 2009, article en néerlandais). En France, près de Grenoble, une association de psychologues en gérontologie a mis en place une expérience de soutien psychologique à domicile qui semble obtenir des résultats intéressants (Psychol Neuropsychiatr Vieill , septembre 2009). Ecouter, reconnaître, tels sont, dans le même esprit, pour l’association brésilienne Abraz , les premiers impératifs du diagnostic, avant même l’évaluation et l’information (ABRAZ, Boletim do dia mondial da doença de Alzheimer , 21 septembre 2009, article en portugais). Au Venezuela, la Fondation Alzheimer a monté un centre de formation, d’orientation et d’aide où elle dispense une aide médicale, des thérapies de stimulation cognitive, des conseils d’orientation psychologique (www.alzheimer.org.ve , même date, article en espagnol).
La personne malade a, bien sûr, toute une histoire de vie derrière elle. Lors des soins, ou des repas, ré-ancrer un processus en lien avec cette histoire rassure et apaise les troubles du comportement. La méthode Montessori, à l’origine destinée aux enfants, a été adaptée aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer par le neurologue américain Cameron Camp. Elle est mise en application dans les maisons de retraite rassemblées par le groupe Hearthstone (Décideur(s), août-septembre 2009). L’existence d’un jardin thérapeutique peut aider à se souvenir du passé, à retrouver ses repères : c’est l’expérience que tente, avec succès, le centre Paul-Spillman du CHU de Nancy. Ce jardin est triplement original par sa taille (quatre mille mètres carrés), sa conception basée sur la neuropsychologie et sa dimension artistique (www.lemonde.fr , 22 septembre 2009). Souvenons-nous toujours du nom de la personne malade, c’est la supplication que nous adresse Richard Taylor, notre vieille connaissance, qui nous adresse sa dix-neuvième lettre : « que sont devenus mes noms ? Vous savez, ces mots qui se rapportent à une personne, un lieu, une chose ? » Le nom, c’est ce qui affirme l’identité, l’individu, – ce qui malgré les apparences ne fait jamais tout à fait naufrage (Alzheimer’s from the inside out , septembre 2009).
L’individu, tout justement, c’est un certain rythme de vie, une cert aine façon de scander le temps, à nulle autre pareille. N’oublions pas que la charte des droits du résidant en institution demande de respecter ses rythmes, ses choix, ses habitudes. C’est ainsi que dans une résidence pour personnes âgées dépendantes du Rhône, l’équipe pluridisciplinaire a décidé de s’adapter à leurs différents rythmes de sommeil, ce qui les aide à se repérer et à s’apaiser quand ils sont agités (www.agevillagepro.com , 28 septembre 2009 ; www.senioractu.com , 24 septembre 2009). Une même technique est systématiquement appliquée à la maison de retraite Hebrew Home for the Aged , du quartier Riverdale de New York : promenades de minuit, séances nocturnes de bavardage avec les copines ou de danse (www.abcnews.com , 8 septembre 2009).
La personne atteinte exprime aussi parfois sa résistance à la maladie par une pulsion inédite de créativité artistique, qui représente souvent des éléments biographiques de son enfance ou de sa jeunesse. La démence peut désinhiber et libérer des sujets en modifiant leur langage, ce qui permet d’exploiter les capacités intactes de coordination de l’activité gestuelle et de reconnaissance d’un objet à l’aide des sens (Revue de neuropsychologie , 8 septembre 2009).
Enfin, – et c’est d’une importance capitale -, la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer semble de plus en plus reconnue (et, parfois, traitée) dans sa différence ethnique et culturelle. L’Université de Stanford (Californie) présente une série de conférences interactives sur Internet intitulées « Ethnicité et démences » (www.sgec.stanford.edu , Family Caregiver Alliance , 30 septembre 2009). L’Université de Caroline du Nord, à Charlotte (Etats Unis) développe un cursus destiné à apporter des compétences culturelles et linguistiques aux infirmières et aides soignantes ayant à prendre soin des personnes malades venues d’autres cultures. Utilisant une approche phénoménologique, un chercheur de l’Université Yonsei de Séoul (Corée du Sud) s’est intéressé aux problèmes spécifiques de couples malades/aidants familiaux coréens-américains (Kaohsiung J Med Sci , septembre 2009 ; J Gerontol Soc Work, août-septembre 2009).
L’aide aux aidants est, nous le savons, un axe majeur de la politique française face à la maladie d’Alzheimer. Le groupe de recherche multicentrique 10/66, soutenu par Alzheimer’s Disease International , a mené une étude clinique pilote auprès de sept cents aidants familiaux habitant en zone urbaine ou rurale en Amérique latine, en Inde, en Chine. Contrairement à ce qui se passe en Occident, les participants vivent en général au sein de grandes familles élargies, comprenant trois générations ; vivre seul ou en couple est très inhabituel, sauf en Chine urbaine, où l’aidant principal est identifié comme l’époux ou l’épouse. Dans tous les autres sites de l’enquête, les aidants sont les filles ou les belles filles de la personne malade (Alzheimer’s Disease International , op.cit.)
Ici encore, comme pour la personne malade, on constate presque partout une reconnaissance progressive de la souffrance propre aux aidants. En France, la Haute autorité de santé recommande d’inclure des programmes d’intervention pour limiter les conséquences néfastes du stress sur leur état de santé. Une équipe de l’hôpital Broca, à Paris, publie une revue de la littérature sur les technologies de l’information et de la communication dans l’intervention psychosociale auprès de ces aidants : il semble bien que l’on constate des effets bénéfiques sur leur état psycho-affectif (Psychol NeuroPsychiatr Vieil , septembre 2009). Ce que confirme une étude de l’Université de Nouvelles Galles du Sud, à Sidney (Australie) : les interventions psychosociales auprès des aidants réduisent le fardeau et la dépression (Dialogues Clin Neurosci 2009). La Fédération Alzheimer mexicaine rappelle les deux aspects de la maladie « pour la personne qui en souffre et pour la famille qui souffre des conséquences » (Federacion mexicana de Alzheimer , 21 septembre 2009, article en espagnol). Pour le chef du service de psychiatrie à l’Albert Einstein College of Medicine de New York, l’apparition de la maladie donne lieu à l’émergence d’un « champ de bataille familial » dans le contexte de déclin de la personne, d’où la naissance d’un sentiment de culpabilité, lié à la sur-implication (ou la sous-implication) dans la prise en charge et la prise de décision (Family Caregiver Alliance , 16 septembre ; Annals of Long Term Care , août 2009). A New York, une Coalition new yorkaise pour le paiement des congés pour aide familiale (New York State Paid Family Leave Coalition ) demande à la Ville de contraindre les employeurs à payer le temps d’absence de leurs employés mobilisés par leur parent atteint de la maladie d’Alzheimer (www.timetocareny.org , 18 septembre). En Italie, depuis une sentence de la Cour constitutionnelle, les membres de la famille peuvent bénéficier, sous certaines conditions, d’un congé payé de deux ans (www.alzheimer.it ).
La formation des aidants familiaux s’impose dès lors comme un impératif. France Alzheimer propose aux proches une formation en cinq modules, d’une durée totale de quatorze heures, afin d’améliorer la compréhension de la maladie et de présenter les aides qui allègent le fardeau (www.agevillage.com , 21 septembre 2009). En Italie, l’hôpital Passirana di Rho , à Milan, a développé des protocoles spécifiques : la relation d’écoute et de communication avec la personne malade y est décrite comme « premier instrument du soin ». L’efficacité de la formation est évaluée à partir d’échelles mesurant de façon individuelle les modifications du stress et de la qualité de vie des participants, à l’issue du cursus (www.alzheimer.it ). En Chine, en Australie, aux Etats Unis, au Canada, en Colombie, en Italie, au Portugal, de nombreuses études confirment l’utilité de formations de ce type (cf. infra).
L’aidant familial est enfin de plus en plus perçu dans sa dimension éthique. Pour Serge Guérin, sociologue, « l’expérience des solidarités de proximité, la permanence d’aidants familiaux ou informels prouvent par l’exemple que les relations sociales sont bien plus riches que la simple recherche d’intérêt économique ou de positions de pouvoir. Pour penser le don, il est nécessaire de sortir d’un paradigme utilitariste comme mesure de la relation à l’autre (…) Le système du don, ce n’est pas le « donner pour recevoir », mais le « donner-recevoir-rendre » (Les Cahiers de la FNADEPA , septembre 2009).
Puisque cette Journée mondiale Alzheimer semble avoir démontré l’actuelle (et sans doute nouvelle) universalité de la lutte contre cette maladie, en commençant par une prise de conscience progressive de ses enjeux, écoutons, pour finir, une voix venue d’un pays où une histoire tourmentée n’a pas toujours permis de hisser les politiques et les équipements au niveau de l’Occident : le Liban. Le père d’Elie a été atteint par la maladie à cinquante-cinq ans. Il est aujourd’hui dans une phase où on ne le nourrit plus que par sonde gastrique. Elie a progressivement pris en charge son père à domicile, assurant tous les soins vitaux. « Il a, dit Elie, la volonté de vivre. Il y a une chanson qu’il aimait toujours entendre, et quand nous la lui mettons, on peut voir ses larmes couler » Le médecin traitant souligne l’humanité d’Elie qui « s’est penché sur la souffrance, la solitude et la misère biologique, au lieu de leur tourner le dos » (www.lorient-lejour.com , 29 septembre 2009).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole