Un double besoin
Édito
Un certain sentiment d’inquiétude commence peut-être à se faire jour. Le troisième plan Alzheimer couvrait la période 2008-2012. Nous arrivons au quatrième trimestre 2013 et la préparation du quatrième plan, qui devrait, selon le gouvernement, concerner l’ensemble des maladies neuro-dégénératives, en est encore à la constitution de « groupes de travail thématiques », afin d’identifier les mesures et actions du futur plan d’ici le premier trimestre 2014 (www.social-sante.gouv.fr, 21 septembre 2013). « L’arrêt des plans Alzheimer, enchaînés de 2001 à 2013, favorablement évalués par la Cour des comptes, illustrerait l’inconstance des politiques de santé publique en France », déplore le Professeur Joël Ménard, dont le rapport préparatoire joua un rôle décisif en 2007. « Notre pays a été mondialement salué pour son volontarisme et ses efforts d’organisation dans ce domaine. Les Français risquent fort d’être taxés de pusillanimité, si l’on constate que l’effort spécifique annoncé et réussi n’aura duré que six années » (Le Monde, 18 septembre 2013). « Il faut éviter que la dynamique Alzheimer actuelle ne s’émousse », a souhaité Bruno Anglès d’Auriac, président de la Fondation Médéric Alzheimer, à l’ouverture de l’Université d’été de l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (Fondation Médéric Alzheimer, 17 septembre 2013).
Pendant les travaux ministériels, la réflexion des différents acteurs continue. Un double besoin se manifeste à travers l’ensemble des medias : besoin de globalité, besoin de coordination.
« Nous ne soignons pas une maladie, mais une personne dans sa globalité, c’est-à-dire en prenant en compte son aspect médical, social, environnemental, familial et juridique », annonce d’emblée le Dr Jean-Pierre Aquino, directeur médical de la Clinique de la Porte verte à Versailles et conseiller technique de la Fondation Médéric Alzheimer. « L’expertise gériatrique n’a de sens que si elle est complétée par une expertise gérontologique » (Hospimedia, 20 août 2013).
C’est dans cet esprit que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a choisi l’expression parcours de vie, et non parcours de soins ou parcours de santé, « puisqu’il considère la personne dans les différentes dimensions de sa vie : personnelle et relationnelle, professionnelle et sociale, familiale et citoyenne. Cette notion, qui repose donc sur l’expérience vécue de la personne dans son environnement, interroge les politiques publiques dans de nombreux domaines (santé, éducation, formation, justice, protection de l’enfance et des majeurs, accessibilité, logement, emploi, etc.) (www.lalettrecnsa.cnsa.fr, 24 septembre 2013).
Cette vision globale de la personne malade implique que l’équipe soignante prenne en compte la totalité d’une vie. « Quand on parle de la dignité des personnes âgées, écrit la psychologue Marie de Hennezel, il faut se poser la question de la dignité de leur vie. Ces personnes sont-elles entourées, accompagnées ? Ont-elles le sentiment de faire encore partie de la communauté des humains ? C’est cette dignité-là, de la vie de tous les jours, que nos pouvoirs publics se doivent de protéger. Comment ? En améliorant la vie dans les établissements pour personnes âgées dépendantes, en valorisant les métiers d’aide à la personne, en réintroduisant de la solidarité intergénérationnelle, en luttant de toutes ses forces contre l’isolement, et enfin en diffusant la culture palliative » (Géroscopie, septembre 2013).
Alzheimer’s Disease International répond aux mêmes préoccupations quand elle en appelle aux gouvernements et aux organisations de financement de la recherche pour « transformer leur système de priorités », notamment en lançant des pistes de recherche sur « les valeurs et préférences des personnes atteintes de démence et leurs aidants » (www.alz.co.uk, 19 septembre 2013).
Parcours de vie, histoires de vie, systèmes de valeurs personnelles : tous ces thèmes renvoient sans doute à un concept fédérateur : l’identité de la personne malade. Deux psychologues, Jennifer Lalanne et Pascale Piolino, rappellent opportunément que « les troubles de l’identité et de la mémoire autobiographique, bien qu’encore souvent négligés dans le profil neuropsychologique général des patients, sont aussi présents très rapidement ». Elles proposent donc des prises en charge spécifiques en vue de réhabiliter la mémoire autobiographique, en tenant compte de ses composantes multiples et en tentant « d’appréhender les liens qu’elle entretient avec l’identité personnelle » (Gériatrie Psychologie Neuropsychiatrie du vieillissement, décembre 2010).
Une telle vision globale de la personne malade implique nécessairement une organisation des soins et de l’accompagnement plus intégrée, mieux coordonnée.
L’Observatoire national de la fin de vie relève, par exemple, que 25% des résidents d’EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) décèdent après avoir été transférés à l’hôpital, et parmi ceux qui décèdent au sein de leur maison de retraite, 23% ont été hospitalisés au moins une fois en urgence au cours des deux semaines qui ont précédé leur décès. « Cette réalité n’est pas une fatalité, affirme-t-il. À titre d’exemple, lorsque les établissements disposent d’un(e) infirmier(e) la nuit, le nombre de ces hospitalisations en urgence baisse d’un tiers. Aujourd’hui, ces infirmiers de nuit ne sont présents que dans 14% des maisons de retraite, alors que potentiellement cela pourrait éviter chaque année dix-huit mille transferts en urgence à l’hôpital » Encore faut-il ajouter qu’un médecin coordonnateur sur cinq n’a aucune formation à l’accompagnement de fin de vie (ONFV, La fin de vie en EHPAD, septembre 2013).
« Les professionnels expliquent la carence de collaboration et de coordination, constate le Dr Alain Bérard, médecin de santé publique et directeur adjoint de la Fondation Médéric Alzheimer, par une organisation des métiers en secteurs d’activité (sanitaire, social, médico-social), qui obéissent à des logiques différentes de formation, d’objectifs et de financement, mais aussi par une méconnaissance de certains métiers par les professions prescriptrices (…) Ce que les professionnels décrient, c’est l’absence de vision ou de régulation globale et concertée des différents métiers par les pouvoirs publics » (www.fondation-mederic-alzheimer.org, septembre 2013).
La Fondation Médéric Alzheimer publie une étude qui identifie et recense vingt-trois métiers en première ligne sur la maladie d’Alzheimer, couvrant un champ d’application très large qui va du diagnostic au maintien de l’autonomie en passant par la prise en charge et l’accompagnement. D’où la nécessité d’élargir le cercle des professionnels, en y incluant, par exemple, les métiers du sensoriel (vision, audition), ou ceux du droit (magistrats, avocats, notaires), voire du patrimoine (banquiers, assureurs) (ibid.)
L’association France Alzheimer partage la même préoccupation lorsque, parmi les quinze propositions qu’elle formule, elle demande notamment que soit renforcée l’intervention des professionnels spécialisés (assistants de soins en gérontologie, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, psychologues) et formés aux spécificités de la maladie d’Alzheimer (Association France Alzheimer, septembre 2013)
Le Professeur Ménard souligne, lui, le besoin d’une « rapprochement de spécialités médicales complémentaires (…) La maladie ne peut se réduire à des troubles de la mémoire (les neurologues), des comportements apathiques ou agités (les psychiatres) ou des composantes de la fragilité (les gériatres). Le resserrement des spécialités autour du malade, de son accompagnant et de son médecin traitant est à peine initié. Il demandera de longues années d’efforts, à contre-courant des cultures et des intérêts catégoriels » (Le Monde, op.cit.).
L’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) rappelle ainsi que « plusieurs professionnels peuvent être mobilisés autour d’une même personne (…) Le partage de l’information apparaît déterminant pour fluidifier et optimiser le parcours de la personne et les systèmes d’information doivent y contribuer » (www.anap.fr, septembre 2013).
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, et Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ont présenté la nouvelle stratégie nationale de santé. Il s’agit de réorganiser le parcours de soins autour des patients en faisant du médecin traitant le pivot de la politique de prévention, tout en soutenant la constitution, autour de lui, d’équipes pluri-professionnelles de proximité (www.social-sante.gouv.fr, 27 septembre 2013).
Peut-être la clinique médicale de la Porte verte, à Versailles, offre-t-elle une des meilleures démonstrations de ce double besoin de globalité de la personne malade et de coordination des structures. Elle travaille avec plusieurs réseaux de santé gérontologiques et de soins palliatifs, notamment pour l’accompagnement à domicile. Elle s’est associée avec l’hôpital public de Versailles « afin que les deux structures puissent être le cadre support de la filière gériatrique du territoire », notamment via une équipe mobile de gériatrie extra-hospitalière » (Hospimedia, op.cit.).
Ainsi la personne malade se trouve-t-elle concrètement (et pas seulement dans le libellé des Chartes de l’usager) au centre de l’accompagnement et du soin.
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole