Un dernier œuf à la coque : la liberté avant les normes ?

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
16 juin 2013

« Thérèse va mourir, elle le sait mieux que tout le monde, elle ne fêtera pas ses cent ans, c’est dans deux ans, c’est trop loin », écrit Arnaud Daguin, chef cuisinier.  « Comme souvent paraît-il dans les dernières heures, Thérèse a un léger mieux, elle sourit, parle de nouveau à sa soignante et, ce matin-là, quand Philippe, le directeur de la maison de soins, vient la visiter elle se permet même une liberté incroyable : elle lui demande quelque chose ! » : « Thérèse veut un œuf à la coque ! Avec une mouillette comme il faut et un peu de sel, et voilà. Avant de nous quitter, elle a envie de ça, de ce souvenir-là, ce jaune et ce blanc, ce gras et ce gélatineux, ce croustillant. Elle veut ça, elle que l’on nourrit par tuyauterie interposée depuis des jours. Et bien elle ne l’aura pas, elle mourra le lendemain comme elle a toujours vécu, furtivement… Et sans œuf coque ». Pourquoi ? Au nom de la sécurité alimentaire : dans cet établissement, l’œuf ne doit pas entrer en coquille, mais en berlingot. « Arnaud Daguin a raison », écrit l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées) : « trop de règlementations, normes et protections conduisent à des absurdités dans la vie quotidienne des personnes âgées en établissement, comme dans de nombreux autres secteurs. Prises au nom de la sécurité par une société vivant dans la peur, on oublie trop souvent que ces règles entraînent de vraies atteintes à nos libertés et parfois les plus fondamentales. Le Président de la République a annoncé une grande réforme de l’aide à nos aînés. Il faudra augmenter le nombre de professionnels à domicile et en établissement et baisser le prix payé par les personnes âgées et leurs familles à domicile et en établissement. Il faudra aussi rediscuter de toutes ces normes de sécurité alimentaire, sanitaire, ou incendie, très coûteuses et souvent liberticides. Il faudra reconnaître que dans notre société qui veut se protéger de tout, les personnes âgées, même fragiles, même handicapées ont droit à vivre, aimer, désirer… même les œufs à la coque. C’est une question d’éthique ».

www.liberation.fr, 6 juin 2013. www.senioractu.com, 14 juin 2013.