Travail social : une profession tenue à l’écart du champ universitaire en France
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Le débat franco-français sur la reconnaissance du travail social comme une discipline, qui ouvrirait la voie à la création d’un doctorat à part entière, refait surface. La France est en la matière « le dernier des Mohicans », juge Manuel Pélissié, président – au titre des employeurs (NEXEM) – de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale. Cette « exception française est un handicap à l’heure de la mondialisation des échanges d’idées », renchérit Christian Rollet, ancien président du Conseil international d’action sociale (CIAS), l’un des rares Français participant aux conférences mondiales intéressant le travail social, où les Français brillent par leur absence. Pourquoi cette exception française ? Le sociologue Michel Autès rappelle « un choix politique à la Libération de construire les différents enseignements de ce qui ne s’appelait pas encore le travail social à l’écart du champ universitaire », en raison de « la spécificité des métiers, la question de leur mode de transmission, l’importance de l’alternance dans la construction des savoirs pratiques, mais surtout la volonté des acteurs du monde associatif de garder une emprise sur un domaine largement construit autour de l’initiative privée, afin de protéger et conforter les positions sociales qu’ils avaient conquises. » Trente ans plus tard, « l’alliance des professionnels et de hauts fonctionnaires a été déterminante » pour faire entériner, dans la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, « la place de la formation des travailleurs sociaux dans leur secteur à la fois d’origine et d’affectation, comme une formation professionnelle à part entière », sans intégration à l’université, développe Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Les blocages d’aujourd’hui résultent de cet héritage. Ainsi s’expliquent, notamment, les difficultés à « universitariser » les diplômes post-bac du secteur pour qu’ils soient intégrés au système LMD (licence, master, doctorat) prévu, depuis 1999, par le processus de Bologne pour harmoniser les cursus et favoriser la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur. La France pourrait bientôt se doter d’une définition légale du travail social. Le Haut Conseil du travail social a adopté un aménagement de la définition internationale selon laquelle « le travail social est un ensemble de pratiques professionnelles qui s’inscrit dans un champ pluridisciplinaire et interdisciplinaire ». Cette formulation prudente permet d’éviter l’utilisation du mot « discipline », qui fâcherait les universitaires. Malgré ce début d’évolution, Patrick Lechaux, sociologue et philosophe, chef de projet du groupement d’intérêt scientifique Hybrida-IS, ne pense pas que le scénario français soit en passe de changer : « il n’y a pas de forces sociales, politiques et scientifiques suffisamment puissantes pour soutenir la reconnaissance d’une discipline et d’un doctorat de travail social, comme ce fut le cas pour les dernières disciplines reconnues liées à des champs de pratiques – sciences de gestion, sciences de l’information et de la communication, sciences de l’éducation. En outre, les sciences sociales, déjà en grande difficulté financière à l’Université, verraient d’un mauvais œil l’arrivée d’une spécialité concurrente. »
Actualités sociales hebdomadaires, 10 mars 2017.