« Tous les matins, je dois recomposer un homme »
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Dans La Fable du Monde, le poète Jules Supervielle (1884-1960) écrivait : « Tous les matins, je dois recomposer un homme ». Le site Internet La Scie rêveuse a choisi ce texte comme poème de la semaine le 21 novembre : « Encore frissonnant/Sous la peau des ténèbres/Tous les matins je dois/Recomposer un homme/Avec tout ce mélange/De mes jours précédents/Et le peu qui me reste/De mes jours à venir/Me voici tout entier/ Je vais vers la fenêtre/Lumière de ce jour/Je viens du fond des temps/Respecte avec douceur/Mes minutes obscures/Épargne encore un peu/ Ce que j’ai de nocturne/D’étoilé en dedans/Et de prêt à mourir/Sous le soleil montant/ Qui ne sait que grandir». « Tous les matins, je dois recomposer un monde », interprète Paul-Loup Weil-Dubuc, post-doctorant en philosophie à l’Université Paris-Sorbonne et chercheur associé à l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer : « C’est la tâche qui incombe à tout homme. Cette tâche est sans doute plus immense encore pour les malades d’Alzheimer, confrontés à la perte de leurs repères et, surtout, à la persistante inquiétude de cette perte. Redonner aux malades les chances de recomposer un monde, si possible heureux : c’est vers cette exigence que doivent converger l’action politique, l’action des soignants, des proches et des malades. De nombreuses questions demeurent. Si la maladie d’Alzheimer efface la mémoire, atteint-elle pour autant l’identité, comme on le dit souvent ? Ce n’est pas certain. Les malades d’Alzheimer emportent dans leur maladie des traces d’eux-mêmes. Leur gestuelle et leur regard résistent à l’effacement, comme le disaient certains soignants et proches de malades. Autre question fondamentale : pourquoi ces maladies de la mémoire nous font-elle si peur ? À travers la dissolution du Moi qu’elle semble induire, font-elle resurgir, comme le diable ressortant de la boîte, l’idée de la mort que nous cherchons à fuir ? Enfin, alors que la perspective d’un diagnostic précoce se fait jour sans que l’on puisse encore faire état de progrès thérapeutiques sensibles, se pose la question de l’intérêt de ces recherches pour les personnes elles-mêmes ».
http://lasciereveuse.hautetfort.com/archive/2012/11/21/le-poeme-de-la-semaine.html, 21 novembre 2012. Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer. www.espace-ethique-alzheimer.org/universitedete2012_ressources_documentaires, décembre 2012.