« Qui étais-je pour convoquer la mort » ? (2)
Société inclusive
« Continuez, dis-je. C’est un risque qui en vaut la peine ». Les trois premiers jours ont été facturés au total cent cinquante mille dollars. L’infection ne cédant pas, un traitement par immunoglobulines a été tenté, portant la facture du quatrième jour à quatre-vingt-sept mille dollars. Le cinquième jour, l’infection ne pouvant plus être jugulée, une intervention chirurgicale devenait nécessaire pour retirer la peau nécrosée. Le directeur médical a évoqué l’allocation des ressources et la difficulté d’une « justice redistributive », pour partager équitablement (fair sharing) des ressources limitées entre de nombreux patients. « Dans un épisode de crise, les familles ne veulent pas entendre le prix des soins. Elles peuvent nous poursuivre en justice si elles estiment qu’il y a eu insuffisance de soins. L’incitation est grande pour que les médecins ne fassent pas attention aux coûts ». Lisa Krieger, se sentant seule, a appelé la famille et les amis de son père. Tous ont dit de le laisser s’en aller, qu’il souffrait pour rien, qu’il y avait des choses pires que la mort et qu’il était temps d’arrêter. Il a été décidé d’administrer simplement des soins de confort (dix mille dollars par jour pendant quatre jours). Toute intervention médicale a été suspendue sauf les soins palliatifs, jusqu’au décès au dixième jour (cent dollars). Après le départ de l’aumônier, « il n’y a plus eu que nous deux, dans un silence bienfaisant. Plus d’avis d’experts, de dispositifs de surveillance qui bipaient ou de respirateurs artificiels qui sifflaient. Plus d’examens. Plus de tubes. Je lui ai dit adieu, j’ai fait mon sac et je suis sortie dans l’air frais de la nuit. La médecine moderne avait emmené le corps de Papa au-delà de ce qu’il pouvait supporter. Même la meilleure vie est finie ».
Le gouvernement fédéral américain estime que 80% des dépenses de santé sont faites dans le dernier mois de la vie, souvent pour de l’acharnement thérapeutique futile, écrit l’éditorialiste du Mercury News. Que pourraient faire les Etats-Unis en réinvestissant cent quarante milliards de dollars dans d’autres domaines ? s’interroge-t-il.
www.mercurynews.com, 5 et 7 février 2012.