« Qui étais-je pour convoquer la mort » ? (1)
Société inclusive
323 658 dollars (240 484 euros) pour dix jours en fin de vie : c’est le montant des frais facturés par l’hôpital de Stanford (Californie, Etats-Unis) à la fille d’un homme atteint de démence, ayant toujours vécu de façon économe, et qui avait pourtant laissé des directives anticipées pour décourager l’acharnement thérapeutique. Sa fille, Lisa Krieger, journaliste au Mercury News (San Jose, Californie), explique : « le cauchemar médical s’est mis en place progressivement ». Kenneth Krieger, âgé de quatre-vingt-huit ans, était tremblant, déshydraté et parlait de façon incohérente. On pouvait voir la peur dans ses yeux. Je l’ai emmené immédiatement aux urgences de l’hôpital universitaire de Stanford. Diagnostic : septicémie et choc septique ». « Aurions-nous dû abandonner à ce moment ? La directive indiquant « ne pas réanimer (do not resuscitate) » semblait soudainement floue (unclear). Les mots écrits en langage juridique noir-et-blanc ne s’appliquaient pas. Il avait besoin d’une machine pour pouvoir respirer le temps que les antibiotiques agissent. L’infection aigüe de Papa semblait incurable. Les médecins ont dit qu’il y avait de bonnes chances de le sauver, et qu’on en saurait plus dans la journée. J’étais à la dérive, sur une mer d’émotions contradictoires. Même si nous le sauvions, la démence continuerait d’avancer. Une autre maladie, plus tard, aurait raison de lui. Mais il méritait une chance. Et à l’hôpital, je me sentais rassurée, je n’étais plus terrifiée et impuissante. Le diagnostic et le traitement : c’est le carburant qui alimente les moteurs cliniques de ces établissements. Cet homme m’avait donné la vie. Qui étais-je pour convoquer la mort ?
www.mercurynews.com, 5 février 2012.