Mourir en société

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
26 avril 2016

Emmanuel Hirsch, professeur à l’Université Paris-Sud et directeur de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, écrit : « témoin de ce qui transparaît dans un échange vrai qui se construit patiemment lorsque la confiance s’instaure en dehors de toute forme de contrainte ou d’urgence, j’ai acquis la conviction que cette dimension d’humanité préservée jusqu’au bout du parcours de vie s’avère plus précieuse que bien des revendications assénées comme des évidences qui ne se contesteraient plus. À ceux qui demandent aujourd’hui de justifier le sens d’une simple présence aimante auprès de celui qui bientôt ne sera plus, qui assignent les professionnels intervenant dans le champ des soins palliatifs à des mises en cause indignes, j’oppose la signification profonde d’un soin ultime garant des principes d’humanité. Respecter la personne, c’est la reconnaître pour ce qu’elle est “jusqu’au bout du mourir”. Parce que s’est imposée l’idée selon laquelle “on meurt mal en France”, la compassion publique s’est exprimée dans l’unanimisme empressé d’un besoin d’évolution législative favorable à la reconnaissance de “nouveaux droits” de la personne en fin de vie que ceux qui étaient affirmés avec justesse et un souci d’équilibre dans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Droit comme celui qui permet de mettre un terme à ses souffrances en abordant la mort de manière anticipée, sous sédation, en quelque sorte “sous contrôle” et “en s’endormant”. » Emmanuel Hirsch s’interroge : « au-delà d’une formule, selon quels critères évalue-t-on que “l’on meurt mal en France”, et peut-on affirmer, sans autre forme, que le sommeil s’imposerait par défaut comme l’idéal d’une mort digne de notre modernité ? Est-il un “bien mourir” qui nous serait refusé, auquel nous pouvons prétendre, et dont l’émergence de “nouveaux droits” permettrait de bénéficier sans la moindre discrimination ? Renonçant à nous confronter de manière plus responsable aux dilemmes qu’il nous faudrait assumer face aux vulnérabilités cumulées dans le parcours de soin jusqu’à sa phase terminale, sommes-nous prêts à consentir, faute de mieux, aux normes et aux règles d’un mourir socialement organisé, dans la minutie de procédures médicalisées visant à nous apaiser, avec comme ultime attention et intention l’octroi d’une mort sous sédation ? » Pour Emmanuel Hirsch, « il ne s’agit tant pas de “bien mourir en France” que de mourir en société, estimé, accompagné, citoyen reconnu dans l’exercice de droits politiques d’une toute autre portée que celui, par exemple, de bénéficier d’une sédation profonde et continue ou d’être pris en considération dans le formalisme de la rédaction de directives anticipées opposables. »