Maladies neurodégénératives : une recomposition des savoirs
Recherche
En quoi la maladie neurodégénérative correspond-elle à un modèle unique, difficile à saisir à partir d’autres modèles de pathologies chroniques ? s’interrogent Léo Coutellec, chercheur en philosophie des sciences et Paul-Loup Weil-Dubuc, chercheur en philosophie morale et politique au laboratoire d’excellence Distalz de l’Université Paris-Sud. « Une première caractéristique semble émerger : les maladies neurodégénératives sont des maladies de la structure – de la personnalité, des capacités motrices, de la conscience, etc. – là où les autres maladies constituent des accidents de la personne, qu’il reste encore possible de prévenir, voire de guérir. Les maladies neurodégénératives font à ce titre intervenir des mutations identitaires scandées par les moments du diagnostic, de l’annonce, des ruptures dans les sphères de l’existence – professionnelle, sociale, familiale, sexuelle, etc. Ces mutations identitaires surviennent sur fond de la conscience de la progression inéluctable de la maladie. » Pour les deux philosophes, « les maladies neurodégénératives partagent une autre caractéristique : leur causalité est difficilement saisissable. Si l’on excepte les cas de la maladie de Huntington et des formes familiales de la maladie d’Alzheimer, ce sont des phénomènes multi-causaux dont les déterminations ne sont ni complètement génétiques, ni complètement biologiques, ni complètement socio-environnementales. L’absence de clarté causale remet en cause une approche mécaniste et déterministe de la maladie. Elle nous oblige à renouveler notre approche de l’objet scientifique qui ne peut plus être le résultat d’une discipline ou d’une théorie particulière.
C’est dans ce contexte qu’émerge la problématique des big data [utilisation des données de masse], avancée comme solution à cette difficulté d’appréhender l’objet “maladies neurodégénératives” dans le cadre classique et invitant à une plus forte transversalité dans le flux des connaissances à partir des données provenant notamment des génomes [ensemble des gènes] et de l’imagerie. L’enjeu de la transversalité est d’autant plus fort que la génération massive de données brouille de multiples frontières : entre recherche biomédicale et clinique ; entre disciplines et savoirs ; entre public et privé (les données proviennent de sources multiples et hétérogènes) ; temporelles (court terme/moyen terme/long terme). » Pour les deux philosophes, les maladies neurodégénératives sont le révélateur d’un nouvel équilibre à trouver, d’un point de vue épistémologique, entre savoirs hétérogènes et, d’un point de vue éthique, entre espérance et responsabilité : « la responsabilité est tout autant dans la recherche biomédicale et clinique – l’environnement diagnostique ne doit pas seulement reposer sur une économie de la promesse ou induire une injonction à savoir –, que dans le soin et l’accompagnement où l’enjeu est d’apporter des réponses concertées, adaptées et justes. »
Coutellec L et Weil-Dubuc PL. Recomposer nos savoirs : un nouvel équilibre à trouver.Éthique, sociétés et maladies neuro-dégénératives. Le Journal de l’Espace éthique. Hors-série 2015: 5-6. Septembre 2015.