L’impossibilité de prédire
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Vincent de la Sayette, du service de neurologie du CHU de Caen, rappelle : « le dépistage de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées n’existe pas, c’est-à-dire que, en population générale et chez des individus sans plainte ni trouble cognitif, il n’est pas possible (ni raisonnable) de savoir quels sont ceux qui développeront la maladie. La seule exception concerne les membres d’une famille où existe une mutation génétique connue qui peuvent demander que soit établi leur statut génétique. Il s’agit d’une démarche longue et complexe qui relève de la compétence des consultations génétiques. À l’exception de ces formes génétiques très rares, il n’existe pas de critère “absolu” permettant un diagnostic de certitude in vivo. Dans un premier temps, l’analyse de la nature et de l’intensité des déficits neuropsychologiques nécessite l’utilisation d’échelles adaptées et validées et une bonne expérience pour les interpréter avec pertinence tout en gardant à l’esprit que leur sensibilité peut être prise en défaut chez des sujets de haut niveau culturel. Le recours à des “biomarqueurs” » (des variables mesurables physiologiques, biochimiques ou anatomiques) complète la démarche clinique. » Pour le neurologue, « l’anticipation est en premier lieu la possibilité de porter un diagnostic précoce de maladie d’Alzheimer, chez des sujets très peu symptomatiques, avec une fiabilité correcte. Encore faut-il s’enquérir que tous ceux qui consultent pour être rassurés ont bien consciemment pris le risque de ne pas l’être et de leur réelle volonté de savoir. Il faut expliquer la démarche diagnostique, l’intérêt et les limites des différents examens comme l’impossibilité de prédire l’évolution et plus largement l’avenir. Moyennant ces précautions, le diagnostic de maladie d’Alzheimer (ou d’une autre maladie) peut être annoncé : il est probable, possible, indéterminé ou très peu probable mais une part variable d’incertitude règne toujours. Le suivi du patient qui permet de connaître l’évolution, revêt un caractère primordial pour conforter ou réorienter le diagnostic et accompagner le patient. Dans ces conditions, un diagnostic précoce peut être fructueux en dépit de l’absence de traitement curatif qui pour beaucoup, et à tort, rend cette démarche vaine. Le patient et son entourage peuvent comprendre rationnellement l’origine des troubles cognitifs et comportementaux, et éviter les situations où ils sont les plus marqués, saisir aussi l’étendue de tout ce qui est encore possible en évitant tout retrait social et familial. L’avenir peut être prévu et organisé lorsque le patient en pleine possession de son discernement peut prendre des décisions déterminantes, désigner une personne de confiance et établir des directives anticipées. »
De la Sayette V. Approches complexes du diagnostic et de l’anticipation. Éthique, sociétés et maladies neuro-dégénératives. Le Journal de l’Espace éthique. Hors-série 2015 ; 9. Septembre 2015.