L’établissement : un espace de liberté sous contrôle
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« La perte d’autonomie, la rupture du domicile et des habitudes de vie, les coûts engendrés pour soi et pour sa famille par l’institution pèsent sur son vécu. Il lui est difficile, malgré tous les efforts faits pour montrer le contraire, d’ignorer ce cadre non nécessairement ouvert à la poursuite d’une certaine “évolution culturelle” », écrivent Philippe Thomas, médecin coordonnateur, psychiatre et gériatre de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Les Jardins de Cybèle à Poitiers, et Cyrille Hazif-Thomas, psychiatre et gériatre au service de psychogériatrie du CHU de Brest. « Un double langage existe, l’EHPAD étant présenté comme un lieu de vie libre, quand des contraintes multiples, réglementaires, sociales, temporelles, s’exercent de façon incontournables. Le bonheur obligatoire et aseptisé, les animations à heures et jours fixes sont dans les mains des soignants armés par des normes d’hygiène de plus en plus envahissantes, de plus en plus menaçantes pour leur liberté d’action. La prise de conscience, l’insight de la réalité par le résident et sa famille est tout autre, elle est maintenant de l’ordre de la nostalgie et de la comparaison entre ce qui se faisait à la maison et ce qui se passe en institution. L’EHPAD est comme coupé du monde extérieur, avec des règles jusque-là méconnues et parfois surprenantes pour les aînés, et pas seulement pour eux : “je trouve bizarre que quelque chose soit ici interdit, quand c’était normal quand j’étais chez moi”, dit ainsi une vieille dame. De fait, une relation d’autorité s’établit entre soignants et résidents, excluant la famille des nécessités du soin et des obligations normatives, sous l’excuse mais aussi le prétexte du manque de personnel, en ne lui laissant que quelques bribes de participation grâce à des entretiens programmés. » Pour les auteurs, « les difficultés peuvent être éludées par la famille, par peur de représailles sur leur parent, et être entretenues du côté des soignants par leur impossibilité de trouver une autre solution pour le résident. Le conflit va couver pour exploser à un moment propice, parfois pour un prétexte mineur, et il va miner les relations entre les soignants, les familles et les résidents. »
Thomas P et Hazif-Thomas C. Prendre le risque d’investir les familles, une école de vie pour les soignants. NPG Neurol Psychiatr Gériatr 2015 ; 15(89) : 290–297. Octobre 2015. www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1627483015000082.