Les plus et les moins de la journée mondiale Alzheimer
Édito
Le 21 septembre, proclamé Journée mondiale Alzheimer, chacun fait le point, quelques-uns se congratulent, beaucoup s’inquiètent. En France, Nicolas Sarkozy a tenu la quatrième réunion de suivi du Plan Alzheimer, ce qui lui a donné l’occasion d’annoncer quelques nouvelles avancées (www.elysee.fr, 21 septembre 2010). Dans de nombreux pays, les associations Alzheimer mènent campagne pour obtenir un Plan national (Portugal), ou accélérer la mise en place effective (Espagne, Angleterre) ou l’amélioration (Australie, Ecosse, Norvège, Suède, Japon, Corée du Sud) des mesures déjà décidées (Int J Ger Psychiatry, dossier spécial, septembre 2010 ; http://onlinelibrary.wiley.com).
Tout semble donc s’améliorer. Et pourtant, de mauvais signaux continuent à s’allumer, y compris chez nous qui nous affirmons en pointe dans ce combat. Prenons l’exemple du Train Alzheimer, qui parcourt en ce moment la France, en principe pour mieux informer le grand public. Les organisateurs ont tout simplement oublié de faire participer… les personnes malades. Fabienne Piel, malade jeune et auteur du livre J’ai peur d’oublier, leur adresse une lettre ouverte : « Sans notre parcours, sans notre concours, comment la société va-t-elle comprendre cette pathologie qui nous touche ? Les gens qui vont passer dans votre train doivent pouvoir palper la réalité du terrain. Et nous sommes la réalité ! » (www.agevillage.com, 23 août 2010).
C’est qu’en effet, aux yeux de certains, même parmi ceux (heureusement rares !) qui professionnellement devraient être le mieux informés, la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’est plus qu’un zombie, un non-être. Deux agents hospitaliers d’une maison de retraite qui s’écrivaient des messages sur le corps d’une résidente viennent ainsi d’être condamnés, pour s’être rendus coupables d’« une profonde atteinte à la dignité de la personne » (www.agevillage.com, 5 septembre 2010).
Ceux qui ne se congratulent pas, en tout cas, ce sont les laboratoires de recherche. Un cabinet d’analyse financière britannique, qui dénonce « l’illusion que nous connaissons les mécanismes de la maladie d’Alzheimer », passe en revue « les coûteuses erreurs passées et présentes dans la quête d’un traitement.» (www.alzheimerreadingroom.com, 4 septembre ; Comtex, Marketwire, 1er septembre 2010).
Il ne manque pas cependant de sujets de réconfort. De plus en plus de chercheurs internationalement reconnus valident aujourd’hui la pertinence scientifique des interventions psycho-sociales. Et la réflexion anthropologique, psychologique, éthique impose chaque jour davantage un nouveau regard sur les personnes malades.
Vingt-deux experts internationaux (Espagne, Grande Bretagne, Etats Unis, Autriche, Chine, Australie, Canada) publient aujourd’hui une revue systématique et une méta-analyse de mille trois cents études sur l’efficacité des traitements non pharmacologiques. Le niveau de preuve scientifique le plus élevé est atteint par les interventions combinées (multicomponent interventions) de formation et soutien aux aidants, qui permettent de réduire de 33% l’entrée en établissement six à douze mois après l’intervention. Pour la cognition, les activités de la vie quotidienne, le comportement et l’humeur des personnes malades, les thérapies non médicamenteuses obtiennent des effets similaires à ceux des médicaments. Pour autant, elles ne doivent pas être considérées comme une alternative aux médicaments, mais comme une approche complémentaire (Dement Geriatr Cogn Disord, 10 septembre 2010. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20838046).
Dans le même esprit, deux chercheurs en psychiatrie et psychothérapie de la clinique universitaire de Bonn (Allemagne) présentent les nouvelles recommandations allemandes : les interventions psychosociales centrées sur le patient ou sur les aidants sont, disent-ils, les éléments principaux du traitement des symptômes psychologiques et comportementaux (Nervenarzt, juillet 2010 ; www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20577709).
Une équipe de recherche sur le vieillissement de l’Université de Philadelphie (USA) a mené un essai contrôlé et randomisé pour évaluer les effets d’une intervention non médicamenteuse sur le stress des aidants. L’intervention consistait en des contacts répétés à domicile et par téléphone par des professionnels ayant identifié des déclencheurs de changement de comportement des personnes malades. Les résultats montrent une amélioration mesurable des dysfonctionnements, ce qui entraîne une réduction du fardeau et du stress (J Am Geriatr Soc, 19 juillet 2010,www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20662955).
La très sélective revue scientifique Nature s’ouvre au champ émergent de la recherche sur les interventions cognitives dans la maladie d’Alzheimer. Une équipe de chercheurs de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich (Allemagne) reconnaît qu’une association d’interventions pharmacologiques et non médicamenteuses pourrait davantage soulager les symptômes que chaque intervention prise séparément. La neuro-imagerie pourrait permettre de mieux en évaluer les effets (Nature Rev Neurol, septembre 2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20368742). Une étude menée par des neurologues chinois semble confirmer ces espoirs (Clin Rehabil, 16 août 2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20713437), ainsi qu’un essai mené par des universitaires britanniques et américains : on note une amélioration significative des scores de performance et de satisfaction (Am J Geriatr Psychiatry, 9 août 2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20808145).
Mais un des tournants le plus significatif, c’est peut-être aujourd’hui l’émergence d’un point de vue anthropologique, phénoménologique et psychanalytique sur la maladie : non, les personnes atteintes ne se définissent pas seulement par une détérioration cognitive, liée sans doute à des modifications organiques du cerveau, mais se caractérisent aussi par un autre rapport au monde, une autre façon d’être soi. Catérina Réa, de l’Université catholique de Louvain (Belgique), et Rosa Caron, de l’Université Diderot-Paris VII, soulignent, en particulier, « l’impasse dans l’effort d’assumer un temps qui marque de plus en plus la fragilité de notre finitude, la souffrance à l’égard de l’élargissement du déphasage intrinsèque à notre corporéité » (Annales médico-psychologiques, 2010 ; www.sciencedirect.com, 1er septembre 2010).
Daniel George, professeur d’anthropologie médicale au Penn State College of Medicine (Hershley, Pennsylvanie, USA) (et second prix mondial décerné en 2009 par la Fondation Médéric Alzheimer et Alzheimer’s Disease International), demande à chacun de « se représenter la démence non pas comme une perte du soi, mais comme un changement du soi ». Il soutient les efforts de l’Ecole intergénérationnelle de Cleveland (Ohio, USA), où les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont désignées comme des « mentors », plutôt que comme des « patients » ou des « victimes » : il est courant d’y voir certaines d’entre elles vivant dans une maison de retraite du voisinage lire des livres avec les enfants, partager la narration de leur histoire de vie, chanter des chansons, ce qui les aide à préserver leur statut et leur qualité de vie (www.thelancet.com, 21 août). Pour Daniel George, la langue de tous les jours que nous utilisons pour décrire la démence façonne nos perceptions du vieillissement cérébral et contribue à la « mort sociale » des personnes atteintes. Il propose donc de réviser notre langage qu’il qualifie de « militariste » : « Opter pour le concept de « retarder » peut nous éloigner des mots belliqueux tels que « prévenir », « stopper », « inverser », « lutter », « arrêter » et « guérir », qui promettent plus que la science ne peut offrir, tout en désignant métaphoriquement le cerveau comme un siège de violence ». De même, il souhaite « choisir un langage permettant de faire ressortir l’aspect dynamique du rôle de l’aidant », une autre vision de l’accompagnement, conçu non plus tant comme fardeau, mais comme « opportunité de renvoyer de la gentillesse et de la chaleur » (ibid).
Du reste, pour Amédée-Pierre Lachal, anthropologue, l’aidant ne doit plus être vu comme un intervenant isolé, bloqué dans sa relation duale avec la personne aidée, mais comme un élément d’une « constellation familiale ». Le statut d’aidant aboutit, selon lui, à coller « une étiquette indécollable qui va, paradoxalement, empêcher ce dernier de se démettre un tant soit peu de la place qu’il occupe ! L’épuisement jusqu’à la mort peut être une des conséquences de cette incapacité au désistement formalisé » (http://carpediemisation.over-blog.com, 19 août 2010).
Cette double affirmation de la personne malade et de son aidant comme sujets dans la plénitude de leur être psychique et social ne peut qu’aboutir à la re-formulation d’une éthique. A l’occasion de la Journée mondiale Alzheimer, l’Espace Ethique de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris a présenté sa version 2010 de la Charte Alzheimer Ethique et société. Ainsi, par exemple, les soignants s’engagent à reconnaître le droit de la personne malade à être, ressentir, désirer, refuser (2007.alzheimer@sls.aphp.fr, www.agevillagepro.com, 21 septembre 2010).
Retrouvons, une fois de plus, notre vieil ami Richard Taylor, qui – nous le savons tous – tient son blog où il note chaque mois sa vie dominée de plus en plus lourdement par la maladie d’Alzheimer. « Combien de temps serai-je capable de savoir ce que je ne sais pas ? Je ne sais pas. Si je n’ai aucun sujet d’inquiétude, je m’en inquiète (…) J’ai l’impression d’être plus fatigué, plus anxieux, plus agité que je l’étais il y a six mois » (www.richardtaylorphd.com, 27 août 2010).
Et, pour la première fois peut-être, il se met violemment en colère. Il en veut terriblement aux associations Alzheimer américaines qui, selon lui, lèvent toujours plus de fonds pour la recherche bio-médicale, alors que la recherche psychosociale, seule à trouver des solutions pour la vie de tous les jours, devrait être la priorité (www.alzheimersreadingroom.com, 4 septembre 2010).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole