Le diagnostic précoce en question (3)
Recherche
Pour Fabrice Gzil, responsable du pôle Études et recherche à la Fondation Médéric Alzheimer cette injonction à l’anticipation, dans tous les domaines, pose trois grandes questions. D’un point de vue épistémologique d’abord, elle conduit à réfléchir à la notion de risque, et aux notions associées (probabilité, incertitude relative). On retrouve ici des questions classiques (cf. la médecine prédictive : les biomarqueurs découplent le diagnostic de l’expression clinique de la maladie ; la maladie ne se décrit plus en termes de signes et de symptômes, mais en mesures du risque d’événements futurs de santé). Mais surtout, on voit que l’enjeu se déplace insensiblement de la question du diagnostic (qui était centrale il y a quelques années) vers celle du pronostic (ou de l’évolution prévisible), ce qui change considérablement la donne. D’un point de vue éthique ensuite : l’identification de personnes (« à risque », « fragiles », « vulnérables ») conduit à se poser deux types de questions : au plan individuel, comment aborder avec les personnes et leur entourage ces questions de risque et de pronostic (probabiliste) ? Quel est l’impact de l’annonce de résultats de biomarqueurs à des personnes pauci- ou asymptomatiques ? Et sur un autre plan, comment proposer sans l’imposer, et surtout comment accompagner, la désignation d’une personne de confiance ou la « planification anticipée » des aides et des soins ? Au plan collectif : comment faire en sorte que les personnes qui seront identifiées comme « à risque » ne soient pas marginalisées ou discriminées (assurances, emploi, conduite automobile, gestion de l’argent…) ? Comment faire pour les protéger, tout en respectant leurs capacités, et pour que la confidentialité soit respectée ? » D’un point de vue philosophique enfin, Fabrice Gzil s’interroge « sur le rapport au temps que cette focalisation sur la précocité et l’anticipation induit, mais aussi sur les logiques de classification que ces concepts aux contours souvent flous (fragilité, vulnérabilité) induisent, et sur l’idée que la fragilité/vulnérabilité est un attribut de l’individu (et non de son entourage ou du système) ».
Gzil F. Éditorial – Interventions précoces : anticiper, diagnostiquer, accompagner. Une injonction à l’anticipation ?
www.espace-ethique-alzheimer.org/newsletter/newsletter16.html, juin 2013.