La maladie du temps, de Fabrice Gzil (3) Mars 2014
Société inclusive
Jean-Yves Nau écrit dans la Revue médicale suisse : « M. Gzil nous livre aujourd’hui le fruit de ses réflexions de philosophe éclairé sur un sujet que l’on peine à embrasser dans toutes ses dimensions : des rives incertaines de la physiopathologie jusqu’au gouffre de la disparition de la conscience de soi, la maladie d’Alzheimer est un continent que nul ne perçoit dans sa totalité. » « La thèse de M. Gzil est que la maladie d’Alzheimer joue aujourd’hui la même fonction anthropologique qu’ont jouée par le passé la peste, la lèpre, la syphilis, le choléra – et plus récemment la tuberculose, le cancer et le sida (…) L’Occident en a fait une maladie des pauvres contre laquelle il aide à lutter », écrit Jean-Yves Nau. « La maladie d’Alzheimer au contraire est une pathologie des pays riches qui prend corps en leur sein et pour longtemps. Pas de caractère transmissible connu mais bien la lente contagion dans les esprits d’un fléau dont on ne se débarrassera pas de sitôt. Une forme de prix à payer pour tous nos progrès accumulés. Non plus la mort prématurée ou violente, mais l’aboutissement d’un long processus dégénératif collectif. Ce qui est une autre forme, nettement plus pernicieuse, de violence. »
Ainsi, la maladie d’Alzheimer « véhiculerait les peurs et les angoisses du temps présent, la mort, la vulnérabilité, la dépendance mais aussi l’incomplétude et l’incertitude de nos savoirs », écrit sur son blog Léo Coutellec, chercheur et enseignant en philosophie des sciences et des techniques à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon. « Selon Fabrice Gzil, cette métaphorisation de la maladie d’Alzheimer, dont l’un des travers est la sur-détermination de ses impacts, est problématique. Elle implique une vision alarmiste de la maladie qu’il faudrait éradiquer car elle renverrait à une anomalie de l’humanité. Et, en même temps, tel est le paradoxe, il ne faut pas minimiser ni la particularité ni l’ampleur de cette maladie. » Fabrice Gzil s’interroge : “comment sensibiliser aux difficultés rencontrées par les personnes malades et leur entourage, sans dépeindre comme n’étant plus une vie, ou comme n’étant plus une vie digne d’être vécue, le fait de vivre avec la maladie d’Alzheimer ?” » Jean-Yves Nau ajoute : « Fabrice Gzil nous dit que la principale métaphore est celle qui transforme ces malades en zombies, en morts-vivants. Ce sont des sous-personnes sans nom propre dont Haïti et le cinéma nous ont montré à quel point nous devions avoir peur. C’est une affaire collective, une épidémie, un tsunami, un raz-de-marée qui risque de détruire l’intégrité de notre communauté économique. On déclare médiatiquement la guerre, on bâtit des plans, on se prémunit en parole autant qu’on peut le faire face à l’impensable » : « qu’attendre de ces malades qui n’ont ni de nom commun (à quand “alzheimeriens” ?) ni de conscience d’eux-mêmes ? Bientôt, ils rejoindront, dans l’impensable collectif, le végétal légumier des comateux au long cours. Le moment sera-t-il alors venu qui verra des lois dire que l’alimentation est une thérapeutique et que l’acharnement thérapeutique est interdit ? En ce pré-printemps de l’année 2014, ce pas irréversible est sans doute moins éloigné qu’on pourrait le penser. Le petit ouvrage de Fabrice Gzil pourrait être de nature à retarder cette échéance », conclut Jean-Yves Nau.
Nau JY. Alzheimer, une maladie bientôt mythique. Rev Med Suisse 2014 ; 10:628-629. Mars 2014. http://rms.medhyg.ch/numero-421-page-628.htm (texte intégral).
http://leocoutellec.wordpress.com/2014/03/18/cr-la-maladie-du-temps-sur-la-maladie-dalzheimer/, 18 mars 2014.
Gzil F. La maladie du temps. Sur la maladie d’Alzheimer. Paris : Presses universitaires de France, 5 mars 2014. 72 p. ISBN 978-2-13-062143-0.
www.puf.com/Autres_Collections:La_maladie_du_temps._Sur_la_maladie_d’Alzheimer.