Japon : « mourir seul sans que personne ne s’en aperçoive avant longtemps »
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Dans l’appartement, des bribes du passé jonchent le sol. Des livres entrouverts, des CD éparpillés. Ici, la vie s’est arrêtée sans prévenir », écrit Yuta Yagishita dans La Croix. « Sur fond de vieillissement de la population, de plus en plus de Japonais meurent dans l’isolement sans que personne ne s’en aperçoive. Des bénévoles tentent malgré tout d’endiguer ce triste phénomène de société qui porte un nom, « kodokushi ». « Je le connaissais très mal. Il n’avait pas de famille ni d’amis », explique le propriétaire de l’appartement. À ses côtés, en ce matin pâle, les membres d’une équipe de nettoyeurs. Masakatsu Omura, chef de la brigade, brûle de l’encens et procède, mains jointes, à une prière silencieuse de quelques secondes, avant de mettre ses hommes au travail. Un rite habituel « pour montrer du respect au mort », explique-t-il. Cette fois, poursuit-il, l’intervention a lieu après seulement une semaine, mais elle peut aussi bien se produire au bout d’un mois, d’une année. Une brigade de nettoyeurs. L’idée semble choquante. Mais Masakatsu Omura et son équipe sont de plus en plus souvent amenés à effectuer ce type d’interventions : près de deux cents fois par an, confirme-t-il. Mourir sans famille ni proche à son chevet ou en mesure de s’inquiéter au bout de plusieurs jours, le phénomène s’est en effet tristement banalisé au Japon, où un mot le désigne, kodokushi. Littéralement, « la mort dans la solitude ». On enregistre chaque année trente mille cas au Japon, dont trois mille à Tokyo, 70% de plus qu’en 2005. Un Japonais sur trois aura plus de soixante-cinq ans en 2035. Or, avec le nombre de mariages à la baisse et celui des divorces à la hausse, 7.5 millions de personnes vivront seules à cet horizon. Yuki Yasuhiro, professeur à l’université Shukutoku, évoque aussi la quasi-disparition des foyers traditionnels à trois générations dans le pays : « de plus en plus de personnes âgées vivent seules et, souvent, mènent une vie recluse », même dès l’âge de quarante ou cinquante ans. « De plus, le réseau de voisinage s’effiloche, et des gens ont tendance à préférer passer du temps seul. Je crois que c’est l’une de conséquences de la croissance économique du pays. Les valeurs liées aux relations humaines sont passées au second plan. »