« J’ai tout le reste de ma vie dans ma pensée mais elle est devenue trop petite »

Société inclusive

Date de rédaction :
11 septembre 2013

« “Moi j’ai des mots dans ma tête mais j’ai perdu l’ordre, vous savez, ils partent c’est trop vite, c’est que mon cerveau fond…”, dit Odette accrochée à mon bras qui tente de la sécuriser dans ses errances », témoigne la psychiatre Véronique Lefebvre des Noëttes. Jeanne attend son mari mort depuis vingt-trois ans, elle dit : « Je le connais, il va bien finir par arriver, ne me dérangez pas dans mon attente… », et puis : « Il y a des mots jetables mais je n’ai pas la liste ; j’ai tout le reste de ma vie dans ma pensée mais elle est devenue trop petite… » Et Henriette devant sa glace : « Ma peau fait ce que je lui commande, je voudrais qu’elle reste et que ma voix la suive ; les mots ça s’arrête vite… ». La psychiatre explique : « Il s’agit pour nous soignants, explorateurs de l’inconnu, “sherpas” de montagnes d’incompréhension, de prendre et d’assembler ce qui a été transformé par la maladie d’Alzheimer et d’être capables de lui donner une autre vie, une autre figure du savoir. »« “Le temps est toujours à l’heure”, dit Marie, ancienne lingère dont les yeux et les mains étaient devenus de beaux outils rendus hagards par la vieillesse et l’oubli de soi. Mais quand elle pliait des serviettes, elle retrouvait la mémoire des beaux gestes, l’immense bonheur de la sécurité d’un travail utile, répétitif, connu, des piles qui rassurent qui matérialisent l’opulence du linge de maison accumulé, son trousseau. »