Incertitudes multiples, ultime certitude

Édito

Date de rédaction :
01 juin 2010

Plus les mois passent, plus l’incertitude semble grandir. Jamais peut-être autant d’indices de doute, d’hésitation, de remise en cause ne s’étaient accumulés en si peu de temps. « Il faut vingt-cinq ans pour mettre au point un traitement ou un vaccin, à partir d’hypothèses à valider », reconnaît Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Plan Alzheimer (www.agevillage.com, 26 mai). « Nous sommes partis du constat que s’il y avait autant d’échecs avec les médicaments potentiels contre la maladie d’Alzheimer, c’est qu’on n’avait pas su ou pas pu choisir correctement la cible ou la dose administrée, ou qu’on avait mal sélectionné les patients », explique Mira Didic, neurologue, au cours d’une journée de partage des compétences entre médecins, chercheurs et industriels (Les Echos, 3 juin 2010). Pour le Professeur Paul Aisen, du service de neurosciences de l’Université de Californie, il faudrait changer de méthode et tester les molécules potentielles sur des personnes malades au stade précoce de la maladie : les panels comporteraient trop de malades pour lesquels il est déjà trop tard (J Nutr Health Aging, Aisen PS et Schneider LS, avril 2010). Le taux d’abandon en cours d’essai (30% selon une étude américaine) fausserait les résultats en réduisant la représentativité de l’échantillon (Alzh Dis Assoc Disorders, Edland SD et al, avril-juin 2010) Cinq multinationales du médicament ont décidé de partager leurs données concernant onze essais cliniques ayant échoué. « Nous pensons réellement que les médicaments échouent parce qu’honnêtement nous ne comprenons pas la maladie », avoue Ray Woosley, qui supervise aux Etats Unis la Coalition against Major Diseases (Wall Street Journal, 11 juin 2010).

Cette mise en doute généralisée n’épargne pas entièrement les interventions non médicamenteuses. Même la nécessité d’une activité physique ne fait plus l’unanimité : sur quatre études réalisées en conditions contrôlées, deux montrent une réduction des effets dépressifs, les deux autres non (Jornal brasileiro de Psiquiatria, 2010). Une recherche menée dans le cadre de l’Université d’Umeå, en Suède, ne montre pas de résultats plus encourageants, sauf à court terme et en intervention individualisée (Aging Mental Health, Conradsson et al, 20 mai 2010).

La gestion de cas (case management), si l’on en croit une étude finlandaise auprès de cent vingt couples de personnes atteintes de démence et de leur conjoint aidant, ne se révèle relativement efficace qu’à échéance de 1.6 an : la différence entre les bénéficiaires et un groupe témoin disparaît au bout de deux ans (La Lettre mensuelle de l’année gérontologique, mai 2010 ; J Am Geriatr Soc, Eloniemi-Sulkava U, décembre 2009). Un essai contrôlé et randomisé de gestion de cas par l’Université de Hong Kong, avec le concours d’un ergothérapeute, a fourni des enseignements quasi identiques (Int J Geriatr Psychiatry, Lam LC et al, avril 2010). De la même façon, le gérontopôle de Toulouse et le groupe PLASA ont évalué l’impact d’un plan de soin et d’aide spécifique sur la survenue de la dépendance : la progression du déclin fonctionnel reste inchangée (Br Med J, Nourhashemi F et al, juin 2010). Mais pour Lon Schneider, neurologue et gérontologue, de l’Université de Californie du Sud, ces résultats ne démontrent pas nécessairement l’inefficacité de ce type de prise en charge ; d’autres études dégagent des résultats inverses ; c’est la conception même et la méthodologie de l’étude PLASA qui devraient être remises en cause. Pour le Professeur Bruno Vellas, coordonnateur de l’étude, « l’absence d’effet de ce suivi doit nous inciter à poursuivre nos travaux pour déterminer si la maladie peut être significativement ralentie en impliquant davantage le médecin traitant et éventuellement des coordonnateurs de cas (case managers), responsables de la prise en charge globale, interlocuteurs de la personne et du médecin traitant » (Br Med J, Schneider LS, juin 2010 ; www.eurekalert.org, 3 juin 2010 ; Inserm, 4 juin 2010).

Il existe cependant un domaine où de solides certitudes semblent échapper à ce scepticisme délétère : personne ne remet en question la nécessité de mieux analyser le fardeau des aidants familiaux et de leur apporter un soutien d’autant plus sérieusement étayé.

La souffrance des aidants n’a jamais été autant décortiquée. Souffrance physique : pour Roland von Känel, de l’hôpital universitaire de Berne (Suisse), l’hypercoagulabilité du sang pourrait être l’un des mécanismes reliant leur stress et leur risque cardiovasculaire plus élevé (J Gerontol A Biol Sci Med Sci, von Känel R et al, 19 mai 2010).

Souffrance psychique : le risque de démence est multiplié par douze pour les hommes, par six pour les femmes, chez les conjoints aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer (J Am Geriatr Soc, Norton et al, 6 mai 2010 ; ibid, Vitaliano PP et al, 9 juin 2010 ; Family Caregiver Alliance, 9 juin 2010 ; CNN, 20 mai 2010 ; www.alzheimersreadingroom.com, 7 mai 2010 ; www.eu.wiley.com, 4 mai 2010). Leur sentiment de culpabilité, scientifiquement évalué, est décomposé en cinq facteurs par les psychologues de l’Université du Roi Juan Carlos à Madrid (Int Psychogeriatr, Losada et al, juin 2010), ou selon d’autres critères relatifs au remords, au sens de la responsabilité et à la réparation, par ceux de l’Université Vanderbilt, à Nashville (Tennessee, USA) (Clinical Psychology Review, Tilghman-Osborne C, juillet 2010). Le blog du Mythe Alzheimer présente une étude menée par le Professeur Perla Werner, de l’Université de Haïfa (Israël), selon laquelle trois dimensions émergent dans l’expérience subjective de la stigmatisation vécue par les proches aidants : une stigmatisation intra-personnelle liée à l’apparence physique de leur parent (gêne ou dégoût) ; une stigmatisation inter-personnelle chez les autres membres de la communauté (peur, dégoût ou pitié devant une personne « différente ») ; une stigmatisation structurelle liée aux connaissances supposées insuffisantes des médecins généralistes et à leur attitude qu’ils jugent  discriminatoire vis-à-vis de la personne malade. Pour les auteurs du blog, « il s’agit de concevoir une société personnes âgées admises, y compris lorsqu’elles souffrent de troubles cognitifs, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté. Cette conception différente du vieillissement sera d’autant plus facile à installer que les relations intergénérationnelles seront favorisées » (www.mythe-alzheimer.over-blog.com, 2 juin 2010; Qual Health Res, Werner P et al, février 2010).

Souffrance sociale enfin : le rôle de l’aidant familial reste globalement sous-valorisé, quand il n’est pas tout simplement présenté comme « obligé », « naturel » , découlant de valeurs morales pré-supposées. L’aidant doit sans cesse justifier de sa bonne foi, de son statut familial et de sa situation de travail auprès d’un entourage institutionnel qui veille à protéger d’abord la personne vulnérable. Son absence de qualification dans le domaine des soins le place sous l’autorité de l’entourage traitant, en particulier du corps médical ; son avis est toujours secondaire (Revue de proximologie, Gwenaelle Thual, avril 2010).