In memoriam : Françoise Héritier (1933-2017) – le désordre et l’effroi naissent des barrières qu’on lui oppose

Société inclusive

Date de rédaction :
01 décembre 2017

En 2010, dans un Guide repère de la Fondation Médéric Alzheimer dont elle était présidente honoraire, l’anthropologue soulignait le changement des représentations de la maladie d’Alzheimer qui s’étaient opérées depuis une décennie. On voyait les choses comme « une affaire de famille, de responsabilités transférées et assumées par un proche, un fardeau. C’était donc une fin en soi que de vouloir fournir des moyens pour alléger ce poids », écrivait-elle. Aujourd’hui, « les priorités ne sont plus les mêmes. L’illusion d’une réponse médicamenteuse a disparu ainsi que celle d’une prise en charge complète par la solidarité nationale. On admet désormais que toute situation est particulière, que la maladie ne se manifeste pas, n’évolue pas de la même manière pour tous. D’une certaine façon, nous sommes devenus plus avertis, plus pragmatiques, plus modestes. Mais le grand changement de point de vue est autre : désormais, c’est la personne malade qui prime sur son mal et ses symptômes. Parler de personne malade est en soi une reconnaissance du fait que cette personne n’est pas identifiable et définissable par la maladie qui la touche. Elle n’est pas un Alzheimer ». Pour l’ethnologue, désormais, « la personne, ses droits, ses choix, ses rythmes de vie, prennent le pas sur ce mal qu’on ne peut traiter. La thématique est devenue celle, exigeante, du maintien des liens menacés et d’une identité jamais perdue : cette personne est pour toujours l’époux, la mère, le frère, la grand-mère…, place qu’elle ne peut plus nommer peut-être mais qui est la sienne et qui sert d’appui à des actes (regarder des photographies, chanter une chanson, caresser un chat, boire ensemble un chocolat…) dont le sens n’est pas de durer dans la mémoire mais dans leur effectuation même, ici et maintenant. La personne malade est celle qui souffre en premier de la détérioration de ses capacités cognitives, mais elle est capable fort longtemps d’intervenir pour gérer sa propre vie et faire entendre ses volontés et désirs, même s’ils paraissent mineurs : manger avec ses doigts, sortir et rentrer la nuit dans un jardin attenant, s’assoupir au salon à des heures indues, se vêtir à sa guise… Le désordre et l’effroi naissent des barrières qu’on lui oppose ». 

Guisset-Martinez MJ et Villez M. L’identité retrouvée. Nouveaux liens, nouvelles solidarités pour une autre approche de la maladie d’Alzheimer. Repères pour les pratiques professionnelles. Paris : Fondation Médéric Alzheimer. Guide Repères. Décembre 2010. 184 p. ISBN 978-2-917258-00-2. www.fondation-mederic-alzheimer.org/Nos-Travaux/Nos-ouvrages.