Humain, avant tout
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Pour May Antoun, médecin gériatre et ancien chef de service d’une unité de soins de longue durée (USLD), la prise en charge des personnes dites « démentes » est désormais bien codifiée : du recueil de l’histoire de vie à l’élaboration du projet de soins, en passant par la planification des tâches, toutes les données les concernant semblent être détenues, à l’exception de leur identité d’humain aux yeux de leur famille et des soignants. C’est ainsi qu’une simple phrase au cours d’un banal entretien avec le fils d’une personne malade peut se transformer en véritable questionnement éthique. « C’est inhumain, je ne reconnais plus mon père ». Qu’est-ce que l’identité d’un homme pour qu’un fils puisse ainsi crier sa perte ? s’interroge May Antoun. « Ne plus reconnaître la personne que l’on a connue et que l’on ne retrouve plus derrière la même apparence, la même voix, la même allure. La personne dont on est séparé par un passé simple, vécu à deux. Celui ou celle dont la vie devient un compteur d’heures et de journées qui ne finissent pas de s’accumuler, toujours identiques, rythmées par un rituel immuable : se lever, manger, se faire laver et habiller, marcher ou se faire installer au fauteuil et se recoucher ». « Que comprennent-ils de nos mots ? Que croient-ils de nos histoires ? Quelle histoire écrivent-ils encore par cette vie ? Comment donner du sens à nos gestes du quotidien lorsque les seules réponses à nos questions sont encore des questions ? » s’interroge le clinicien. « Au-delà de leur charabia et de nos réponses stéréotypées, combien de soignants expriment simplement à ces soignés leur difficulté à les comprendre ? (…) Combien de professionnels regardent encore ces soignés comme des êtres capables d’émotion, d’amour, d’échange et de créativité » ? Que dire à l’homme en pleurs ? « Ne pas avoir honte d’aller à la rencontre », et considérer cet autre dément ou père comme un égal en humanité. « Il faut accepter, sans a priori, de découvrir les multiples facettes de cet autre, de partager simplement l’instant, d’accompagner, non en voyeur mais en témoin et partenaire bienveillant, son voyage dans des bribes de vie qui n’appartiennent qu’à lui ».
Antoun M. Aller à la rencontre de cet autre, dément mais avant tout humain. Soins Gérontologie 2010 ; 85 : 24-25.