Féminité et maladie d’Alzheimer
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Ida Modoveanu, docteur en psychologie et psychologue clinicienne, témoigne : « Mme C. a quatre-vingt-dix ans et vit depuis cinq ans en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle est dans une unité fermée et est considérée comme « difficile », car elle veut partir, rentrer chez elle et, de ce fait, met les soignants en difficulté. Elle peut rester très calme pendant plusieurs heures, puis avoir une crise d’angoisse : elle va alors dans sa chambre, met sa veste, parfois plusieurs l’une sur l’autre, prend son sac et se dirige vers la porte. Les soignants essaient différentes méthodes pour la retenir, y parvenant parfois, échouant le plus souvent. Quand elle est dans cet état, elle est très agitée et peut devenir agressive. Néanmoins, deux méthodes semblent fonctionner pour la calmer : les soignants lui proposent alors soit de faire une promenade dans les environs, ce qui l’apaise et lui permet de rentrer sans difficulté, soit de les « aider » dans une activité ménagère, comme mettre la table, balayer etc. » Pour Mme C., explique la psychologue, « les différents temps de la vie se télescopent, mais son discours est toujours émaillé d’un questionnement par rapport à sa féminité. Elle revit sans cesse son rôle de jeune fille, d’épouse, de mère, de grand-mère. Mais la féminité semble toujours être associée à la soumission : elle doit rentrer chez elle pour ne pas inquiéter ses parents ou son mari, elle doit aller chercher les enfants à l’école, car c’est son devoir de mère. Bien que Mme C. soit à un stade assez avancé de la maladie, elle évoque de temps en temps ses oublis, mais ce qui continue de la préoccuper vraiment, c’est son devoir de femme, qu’elle essaie d’accomplir au mieux. Il est logique, dans ces conditions, qu’elle s’énerve quand les soignants l’en empêchent. C’est une situation très fréquente dans les maisons de retraite et d’autant plus difficile à gérer que « la solution » n’existe pas : même des remèdes qui peuvent paraître efficaces, comme une promenade ou le fait “d’accomplir le devoir féminin” (balayer, mettre la table etc.) ne soulagent que temporairement cette angoisse profonde.
Moldoveanu I. Maladie d’Alzheimer : souffrance du féminin. Journal des psychologues 2013 ; 305 : 22-26. Mars 2013.