Éthique du temps
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Sa montre, répète-t-il, n’est pas à la bonne heure. Le temps qu’elle indique est erroné. Ce n’est pas le vrai temps, son temps. C’est pourtant l’heure juste pour les autres, celle qui scande notre journée, nos activités, notre temps de repos », écrivent Armelle Debru, professeur émérite de l’Université Paris-Descartes, et Virginie Ponelle, directrice adjointe de l’Espace éthique/Assistance publique/Hôpitaux de Paris. « Pour nous, midi est midi, trois heures vingt, c’est bien trois heures vingt. Pourquoi ne l’intègre-t-il plus, notre malade ? Pourquoi faut-il le lui rappeler ? Et rappeler aussi les repères : c’est le temps de s’habiller, sortir, manger, dormir. Il conteste, souvent. On argumente. Usure. Quel est son temps à lui, qui échappe à notre mesure ? Plusieurs fois par jour, ce décalage nous heurte. D’un autre côté, notre temps, et encore plus celui des soignants, le dérange fortement. Qu’on arrive un peu plus tard ou plus tôt que d’habitude, qu’un visiteur advienne impromptu, cela l’irrite, le déstabilise. Le rythme de vie est dérangé, mais peut-on encore parler de rythme, un mot qui évoque régularité ? Cette « discordance des temps » nous interroge » : « Nous vivons un temps tissé de fils, les uns qui nous relient à un passé, les autres qui nous tirent vers l’avant. À notre temporalité triadique et mêlée, s’oppose apparemment chez la personne malade un seul temps, le présent, et une seule succession, celle de moments présents ». « Pour le proche, le temps devient de plus en plus fragmenté, hasardeux. La routine est brisée par l’inattendu. L’évènement s’impose, écrase le temps prévu. Contrairement au temps des anticipations juridiques et sanitaires, l’anticipation au quotidien est constamment démentie. C’est un temps compliqué pour les proches, un temps composé de deux temporalités, la sienne et celle de l’autre ». « Le passé du malade devient propriété du proche. Il devient un objet. On peut le fixer, le donner aux institutions, pour information ».
En Norvège, Veslemøy Egede-Nissen et ses collègues, du Collège universitaire diaconal Lovisenverg à Oslo, ont étudié les situations vécues par douze professionnels des soins et de l’accompagnement dans deux maisons de retraite. De « bonnes situations de soins » existent lorsque « la culture du temps est flexible, les aidants agissent sans mentionner le temps de l’horloge ou le temps comme facteur de stress ».
Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer. www.espace-ethique-alzheimer.org/, février 2012. Egede-Nissen V et al. Time ethics for persons with dementia in care homes. Nurs Ethics 2013; 20(1): 51-60. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22918063. Février 2013.