Éthique, droit et maladie d'Alzheimer, coordonné par Anne Meyer-Heine (5)

Société inclusive

Date de rédaction :
01 avril 2014

Colette Eynard, membre du réseau de consultants en gérontologie ARCG, souligne que l’environnement matériel en institution ne peut pas se réduire à ses aspects techniques. « Pour chacun d’entre nous, en effet, la maison est une référence essentielle, dans la mesure où nous la considérons comme un abri où l’on est maître chez soi. Or une personne atteinte de troubles cognitifs a besoin, plus que n’importe qui, d’un environnement qui lui soit familier, qui lui rappelle ce qu’elle a connu, et ceci à deux conditions : d’une part, que ses droits fondamentaux soient respectés par son environnement familial et professionnel, d’autre part, que ceux qui l’accompagnent respectent sa propre façon d’habiter les lieux. Dans cette perspective, les aménagements sont une forme de communication quand ils lui fournissent des indices qui lui donnent une relative autonomie. Dans le cas contraire, ils peuvent la désorienter davantage. Par ailleurs, la nature et la qualité de ces aménagements sont susceptibles d’induire ou de favoriser certaines attitudes, négatives ou positives, des professionnels qui, selon le cas, accorderont plus de respect et d’estime à ceux qu’ils accompagnent, en les considérant comme libres et égaux. » Pour Colette Eynard, « retrouver les fondamentaux de la maison, telle que nous en avons l’usage, semble donc plus pertinent que d’inventer une architecture spécifique, perçue comme un monde étrange et étranger par ceux qui y sont hébergés plutôt qu’ils ne l’habitent. Pourquoi cela ne serait-il pas possible quand on imagine un lieu collectif ? Parce que le cadre normatif est étouffant et que la notion de contrôle est omniprésente, le droit au choix et au risque ne serait-il souvent qu’un vœu pieux ? La conception du soin qui prévaut en établissement n’est-elle pas souvent trop hospitalière ? A cet égard, le secteur du handicap a beaucoup à nous apprendre.»

Colette Eynard poursuit : « Si la personne reste dans son domicile privé, elle peut se trouver en grand danger, malgré la présence de ceux qui l’aident. Si elle entre en institution, elle bénéficiera d’une certaine attention, mais à quel prix ? Elle sera contrainte de s’en remettre aux autres, au-delà même de ce qui est nécessaire et pourra dès lors éprouver un sentiment de dévalorisation, de relégation, et perdre l’estime d’elle-même parce qu’elle n’a pas réussi son pari de finir ses jours à son domicile. » L’observation menée dans le cadre du programme Eval’zheimer de la Fondation Médéric Alzheimer montre « à quel point ces caractéristiques sont banales : l’environnement étranger ne rappelle rien à la personne malade, « elle n’a plus rien à faire, elle a échangé un espace plein contre un espace vide, enfin son autonomie est en danger puisque ce qu’elle voit ne lui rappelle rien. Les innombrables chariots à usage professionnel qui encombrent l’espace institutionnel ne peuvent que brouiller le message que lui envoie son nouvel environnement, alors que des objets et des meubles à caractère domestique pourraient l’aider à redevenir l’habitant qu’elle était encore tout récemment. Dans la plupart des cas, elle paie donc une sécurité relative par la perte de ses repères. Par ailleurs, les procédures et les normes, ainsi que l’emploi abusif de sigles inutiles (peut-on habiter une UHR [unité d’hébergement renforcée] ou un EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]) contribuent à faire de ces univers des mondes étranges et étrangers. »

Eynard C. Les relations entre l’éthique et l’environnement matériel et social. Les unités de vie dédiées en question. In Ethique, droit et maladie d’Alzheimer. Louvain-la-Neuve : Academia-L’Harmattan. Avril 2014. 88 p. ISBN 978-2-8061-0143-3. pp 43-50.www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=43105.