Environnement
Édito
Le 21 septembre est passé, avec – comme d‘habitude – ses traditionnelles manifestations de tous les acteurs de la planète Alzheimer : associations de familles, fondations, Espace de réflexion éthique … La ministre de la Santé, Marisol Touraine a annoncé quant à elle qu’elle présenterait le 28 octobre le plan Maladies neurodégénératives, promis depuis près de deux ans (www.sante.gouv.fr, 20 septembre 2014).
Pendant ce temps, bien sûr, tous ceux qui – personnes malades, aidants, soignants, professionnels de santé, chercheurs, juristes … – ont de bonnes raisons de s’intéresser à la maladie d’Alzheimer poursuivent leur réflexion, souvent innovante. Un concept ancien, mais profondément rajeuni et renouvelé, fait aujourd’hui un retour en force : l’environnement.
L’environnement physique de la personne malade joue, nous le savons, un rôle non négligeable dans le développement de la maladie. « La perception et l’interaction avec l’environnement sont altérés », explique le neuropsychologue Christophe Reintjens, responsable adjoint des activités de formation à la Fondation Médéric Alzheimer. « Ce sont les capacités attentionnelles qui sont les plus détériorées ». Les personnes atteintes de troubles cognitifs seraient plus facilement distraites par des informations interférentes qui viendraient littéralement capturer leur attention. Par exemple, le bruit de la télévision ou de la radio les empêcherait d’accomplir des tâches complexes, comme faire la cuisine (Doc’Alzheimer, dossier coordonné par K. Charras, responsable du pôle Interventions psychosociales de la Fondation, août 2014).
Cet envahissement par les bruits du monde rendrait celui-ci encore plus opaque pour ceux qui présentent les symptômes de la maladie et qui ont donc, nous dit le philosophe Fabrice Gzil, responsable du Pôle Études et recherches de la Fondation, « des difficultés croissantes pour comprendre et interpréter les informations qui leur parviennent de leur environnement » (ibid.).
D’où la nécessité de retourner la situation en transformant ou adaptant cet environnement pour en faire un élément d’un accompagnement, voire d’une thérapeutique. Fabrice Gzil propose donc le concept d’environnement encapacitant (traduction un peu insolite de l’anglais empowering environment). « Cela suppose, dit-il, que l’accès à la terrasse, au jardin, ou à la cuisine ne leur soit pas systématiquement refusé ; que les portes de l’unité ou de l’établissement ne soient pas des murailles infranchissables ; que les personnes puissent en sortir et que d’autres (famille, amis, petits enfants…) puissent et aient plaisir à y entrer. Cela implique, ensuite, que l’environnement ne soit pas conçu de manière à accroître la dépendance, et à ne pas constituer une source supplémentaire de frustration ou d’ennui : à ne voir l’environnement que sous un angle prothétique ou ergonomique, celui-ci risque vite de devenir aliénant, dys-capacitant ». (ibid.)
En Ecosse, le Centre de développement de services pour la démence « a développé une réflexion unique, qui a permis d’améliorer considérablement l’adaptation de l’architecture des lieux d’accueil », explique sa directrice. « Une équipe pluridisciplinaire a été formée afin de promouvoir l’importance de l’architecture pour l’accompagnement de ces personnes [atteintes de la maladie d’Alzheimer] ». Le Centre dispense des conseils d’aménagement et des formations pour les maîtres d’ouvrage. « Un agencement bien réfléchi réduira les incidents tels que les chutes, les sorties incontrôlées, l’incontinence ou encore les comportements perturbateurs (…) Il réduira aussi l’utilisation des neuroleptiques » (http://dementia.stir.ac.uk, 9 septembre 2014).
Certains croient volontiers qu’il suffirait d’un apport conséquent de néo-technologies pour résoudre ce type de problème : à nous les « sols intelligents », la géolocalisation, la domotique, voire les vêtements connectés ! Mais, rappelle encore une fois Fabrice Gzil, « face à des handicaps évolutifs, une modification de l’environnement physique ou technique n’a de sens – et de chance de réussir – que si elle s’accompagne conjointement de modifications de l’environnement humain. Réfléchir à l’environnement de vie des personnes atteintes de démence (…) conduit presque inévitablement à se poser des questions d’éthique : quelles valeurs cet environnement vise-t-il à promouvoir ? Et que promeut-il effectivement ? L’indépendance ou la discipline ? La sécurisation ou la sécurité à tout prix ? Le respect des seules exigences réglementaires ou le respect de la dignité des personnes, de leurs besoins et de leurs droits fondamentaux ? » Ce n’est plus seulement un problème de santé publique, mais un enjeu de société (Doc’Alzheimer, dossier coordonné par K. Charras, op.cit.).
L’environnement social, psychologique, ou – pour tout dire – humain, voilà en vérité le cœur du problème. La solitude, le sentiment d’abandon, ou d’incompréhension, qui fragilisent souvent la personne malade, tendent à aggraver ou accélérer les symptômes, à détériorer encore davantage ses conditions de vie.
On sait, par exemple, que la presbyacousie constitue un facteur de risque important, qu’elle isole celui ou celle qui en est la victime, qu’elle accroit la fragilité qui peut préluder à la survenue des troubles cognitifs. Or « le presbyacousique tout seul ne peut pas grand-chose », constate l’orthophoniste Séverine Leusie. Le seul moyen de contrôler l’évolution et la qualité de la récupération auditive (à travers un entraînement ad hoc et/ou la mise en place d’un appareil) est de disposer d’un aidant. Il existe aujourd’hui des associations d’aidants formés à la rééducation de la presbyacousie (La Lettre du GRAPsanté, septembre 2014).
La solitude, les difficultés de la communication jouent un rôle encore plus déterminant chez nombre de personnes malades issues de l’immigration. La sociologue Laetitia Ngatcha-Ribert, chargée d’études au Pôle Études et recherches de la Fondation Médéric Alzheimer, constate que les migrants sont peu représentées dans les dispositifs de prise en charge, qu’il s’agisse des lieux de diagnostic, de soin ou d’hébergement et constituent de fait « une population partiellement invisible ». Et pourtant elles représentent une part substantielle de la main d’œuvre du secteur de la dépendance : « le fait qu’aidants et aidés ne partagent pas les mêmes représentations de la maladie, n’aient pas le même rapport au corps et aux soins du corps et qu’ils ne considèrent pas de la même façon le recours à l’aide de tiers extérieurs à la famille, peut provoquer des incompréhensions, des malentendus, voire dans certains cas des tensions et une « maltraitance raciale ». D’où « un foisonnement d’initiatives à travers le monde pour développer des « compétences culturelles » chez les professionnels, pour adapter les outils de diagnostic et pour faire évoluer les établissements et les services afin qu’ils soient « culturellement adaptés » aux besoins et aux préférences de leurs usagers »(www.fondation-mederic-alzheimer.org, Actualités sociales hebdomadaires, 18 septembre 2014; www.senioractu.com, 22 septembre 2014).
« Avec l’aggravation de la maladie, explique la sociologue Laurence Hardy, les risques de défiliation et de désappartenance s’accentuent : chacun perd son sens, son identité, son statut aux yeux de l’autre. Ce processus peut aboutir à la mort sociale de la personne vulnérable : la famille du parent malade fait le deuil symbolique de celle-ci avant même qu’elle soit morte, car elle ne le reconnaît plus » (Doc’Alzheimer, op.cit.).
Consciente de l’importance de l’environnement dans l’accompagnement des personnes malades, la Fondation Médéric Alzheimer soutient des projets de recherche portant sur ce domaine d’investigation. Elle a lancé le programme d’intervention psycho-sociale Eval’zheimer visant à améliorer les conditions de vie des personnes résidant en établissement par une double action sur l’environnement physique (structuration de l’espace, mobilier) et social (pratiques des soignants). Près de quarante établissements ont mis en œuvre ce programme, qui a été l’objet d’une évaluation fondée sur des critères scientifiques (Doc’Alzheimer, 14-15 août).
Un exemple : la Résidence du Parc, à Pontault-Combault (Seine et Marne). « Les familles ne vont pas s’isoler dans les chambres, mais restent dans la pièce à vivre. Elles peuvent ainsi échanger avec leurs proches et avec le personnel.» Chaque résident a un cahier personnalisé où toutes les informations non médicales importantes sont recensées. Les familles peuvent le consulter quand elles le souhaitent. Résultat : plus de sérénité, moins d’agressivité, davantage de respect entre les personnes malades. (ibid.)
L’importance de l’environnement psychosocial est encore soulignée par les travaux d’une équipe de chercheurs de l’Université François-Rabelais, à Tours : la foi, les pratiques et le maintien des relations sociales des personnes faisant davantage appel à la spiritualité et à la religion tendraient à réduire ou à stabiliser les troubles cognitifs (International Psychogeriatrics, 26 août).
Blandine Prévost, atteinte à trente-six ans par la maladie, s’est lancée, avec son mari Xavier, dans le projet Ama Diem : un lieu de vie adapté à la réalité des malades jeunes – un « autre domicile », à taille humaine, « avec une ligne conductrice qui est de continuer à décider et à vivre normalement (…). C’est tout à fait possible à condition d’avoir un personnel suffisant, polyvalent et formé, mais aussi de sensibiliser le voisinage » (Doc’Alzheimer, op.cit.).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole