Éditorial — Les interventions psychosociales : de l’innovation sociale à l’exigence de preuves
Édito
Comment retarder l’apparition des symptômes invalidants et aider les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à préserver leur autonomie et leur bien-être le plus longtemps possible ?
Le documentaire Toute la musique que j’ai aimée, de Michael Rossato-Benett, réalisé aux Etats-Unis, apporte quelques éléments de réponses à ces interrogations (www.arte.tv/fr, 1er février 2018). Quand Dan Cohen, fondateur de l’association Music and Memory, demande à Mary, une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, comment s’est passée son enfance, elle lui répond en souriant : « J’ai oublié ce que j’ai fait quand je suis devenue une jeune femme. J’ai oublié tellement de choses. J’ai vécu 90 ans, je ne me rappelle plus ». Dan Cohen pose alors des écouteurs sur les oreilles de Mary et l’invite à écouter les musiques qu’elle a aimées mais qu’elle n’écoute plus depuis qu’elle réside en maison de retraite. Soudain, le visage de Mary s’éclaire, s’anime, elle sourit, nous parle de son enfance, des nuits où elle a fait le mur pour aller écouter Louis Armstrong, de sa vie de jeune fille.
Mary a bénéficié d’une intervention psychosociale en maison de retraite basée sur une activité musicale. D’une variété foisonnante, les interventions psychosociales ont pour objectif d’améliorer de façon concrète la vie quotidienne des personnes malades (http://dementia.stir.ac.uk, 13 février 2018). Innovantes sur le plan social, ces interventions s’inscrivent dans une prise en charge globale de la personne, proposent des solutions complémentaires aux traitements médicamenteux et visent à améliorer la qualité de vie et le fonctionnement psychologique et social des personnes malades et de leur entourage.
Le rôle des interventions comme celle dont a bénéficié Mary est aussi de s’appuyer sur l’expérience individuelle de la personne pour maximiser les capacités préservées. Le psychologue humaniste américain Carl Rogers résumait les choses ainsi : « l’individu possède en lui-même des ressources considérables (…) mais seul un climat fait d’attitudes psychologiques facilitatrices peut lui permettre d’accéder à ses ressources » (http://acp-pr.org, 14 février 2018).
Du terrain au chercheur, comment déployer des interventions, qui semblent apporter, au niveau individuel, des bénéfices immédiats sur les capacités psychologiques et sociales de la personne malade ? Pour que ces interventions soient modélisées, qu’elles s’inscrivent dans les pratiques de soin dispensées sur le lieu de vie, qu’elles soient financées au niveau institutionnel et ne reposent pas seulement sur des initiatives individuelles comme celle de Dan Cohen, il faut faire la preuve de leur efficacité.
Des progrès très significatifs ont été réalisés en ce sens et plusieurs interventions psychosociales, comme celle développée par le Pr Clive Ballard, du King’s College de Londres, ont montré des bénéfices. Il a mené une étude en maisons de retraite pour évaluer l’effet sur l’agitation d’un programme associant formation des personnels et interactions sociales. Cette étude est, à ce jour, une de celles, qui proposent la plus grande rigueur méthodologique. Du chercheur au terrain, les résultats montrent que les effets sur l’agitation sont comparables, voire meilleurs, que ceux obtenus avec les antipsychotiques seuls (PlosMedicine, février 2018).
Nées du terrain, étayées aujourd’hui par des preuves scientifiques et inscrites en partie dans les pratiques, les interventions psychosociales apparaissent comme des solutions pertinentes pour améliorer la qualité de vie des personnes malades.
Qu’attendons-nous pour les développer davantage ? Le sourire de Mary est notre meilleur encouragement.
Ségolène Charney
Éditorialiste