Devenir résident : quel devenir ?

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
16 mars 2012

« En contradiction avec les stéréotypes de fin de vie, la maison de retraite représente un lieu de vie auquel tout nouveau résident doit s’adapter et dans lequel il cherche à retisser des liens sociaux, condition sine qua non de sa reconstruction identitaire », écrit l’anthropologue Delphine Dupré-Lévêque, chercheur associé à l’Université Bordeaux-2. Après un temps d’observation, plus ou moins long selon les individus et leurs capacités d’adaptation, les résidents se recréent un ensemble d’habitudes. Les personnels, comme les personnes accueillies, apprennent à se connaître. Les résidents peuvent alors élaborer des stratégies relationnelles. Les journées se suivent et se ressemblent. Le lever, la toilette, l’habillage, le repas, le ménage constituent de véritables rituels qui se répètent chaque jour à l’identique. Les résidents connaissent les heures de passage des personnels (tout changement étant mal perçu). Bien connaître les personnels et savoir ce que l’on peut attendre de chacun d’eux permet au résident de moins subir ces formes d’intrusion, de les personnaliser ». La distribution des médicaments, au cœur de négociations importantes, constitue un moment particulièrement propice à la construction des relations.  « Chaque résident joue de son statut de malade pour solliciter plus ou moins d’attention et exister en tant que personne, individu, acteur de sa vie et non pas seulement comme un patient soumis. Chaque résident a sa technique pour conserver un certain contrôle sur sa consommation médicamenteuse, alors qu’il n’a plus accès aux boîtes de médicaments » : réclamer un médicament ou son arrêt, exprimer son dégoût, tendre la main, avoir déjà le verre sur la table, refuser la prise si le soignant est énervé, prendre le médicament puis le recracher en douce… Une aide-soignante témoigne : « Les médicaments représentent un lien très important avec le passé (…). Certains perdent la tête, mais leurs médicaments, c’est sacré ! Ils voient toujours quand il en manque un ou quand il y en a de nouveaux. Certains résidents ne supportent pas quand on leur dit qu’ils vont mieux. Plus ils ont de médicaments, plus ils ont le sentiment d’exister. Si le docteur en enlève, c’est une vraie catastrophe au départ. La distribution des médicaments, c’est un moment privilégié, plus qu’une surveillance médicale, c’est une surveillance affective ». « A force de procédures de qualité ou d’organisation, de protocoles de soins ou d’évaluation, on finit par oublier l’essentiel : derrière le résident, cette personne ridée, parfois malade voire démente, il y a un individu avec ses émotions, ses envies, ses peurs, qui réclame attention, soins et affection. En accordant une place plus grande à la personne, à son histoire de vie, à sa longue vie et à sa fin de vie, les établissements d’accueil pour personnes âgées répondraient plus justement à l’objectif recherché de « qualité de vie », ce qui doit, entre autres, passer par une écoute attentive et un accompagnement personnalisé de chacun des résidents », conclut Delphine Dupré-Lévêque.

Les Cahiers de la FNADEPA, mars 2012.