Désaffiliation : les pertes progressives dans la relation aidant-aidé
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Dans la durée, « chacun va devoir opérer des ajustements où les relations aidant-aidé vont être ponctuées de pertes, de renoncements et de processus d’adaptation », poursuit la sociologue. Ces pertes obligent les proches « à s’investir dans le présent comme s’il n’y avait pas d’avenir. Ils renoncent au destin commun, ce qui fissure la généalogie. » Le « pré-deuil » se caractérise par une implication de l’entourage dans la relation mais sans espoir d’amélioration. Les relations sociales se limitent aux proches directs. Le « deuil anticipé » est un processus conduisant à « mettre le malade au rang de disparu. C’est un mécanisme de défense, de protection de l’entourage, qui a pour objectif de se détacher du proche afin qu’au moment de la mort, la perte soit moins déchirante. Le lien se rompt à l’initiative du proche, qui peut se sentir coupable de cette rupture avec la personne fragile qu’il ne reconnaît plus et dont il ne peut plus espérer une amélioration de son état de santé. » Quant au « deuil blanc », explique la sociologue, c’est « une réaction à la perte d’échange, de partage, en lien avec la progression de la maladie. Contrairement à la mort qui arrache l’individu à son milieu, la maladie d’Alzheimer, par son début insidieux et son évolution graduelle, va compliquer la phase d’acceptation et fait durer la douleur, ce qui amène un deuil incomplet. L’évolution de la maladie conduit à la transformation des liens antérieurs, à l’appauvrissement des relations familiales et amicales. C’est donc une déprise [désaisissement] qui se vit surtout sous l’optique de la perte et donc du deuil. La maladie conduit à redéfinir la place et les rôles de chacun jusqu’à, parfois, ne plus reconnaître de rôles à la personne très vulnérable. Il s’agit alors d’une mort sociale, qui précède la mort biologique, avec un processus de défiliation. La démence de type Alzheimer est le terreau de situations de désinsertion dans la sociabilité socio-familiale », conclut Laurence Hardy.
Doc’Alzheimer, juillet-septembre 2014.