Déménagement sans ménagement
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Le journal Sud-Ouest a annoncé que la maison de retraite de Langoiran (Gironde) va déménager. Un rachat par un groupe commercial et une nouvelle implantation à vingt kilomètres la fera passer d’un bourg rural à la métropole urbanisée. Le sociologue Jean-Jacques Amyot, directeur de l’Office aquitain de recherche, d’information et de liaison sur les personnes âgées (Oareil) est le fils d’une résidente. Il s’insurge : « on ne déplace pas des habitants d’un immeuble à vingt kilomètres sans informations, sans précautions, sans négociations et même parfois sans contreparties ; on n’expulse pas quelqu’un d’un logement sans tenir compte d’une législation qui réglemente ces initiatives comme l’on n’exproprie pas sans respecter une procédure qui a nécessité la constitution d’un code à part entière. Pour les résidents de maisons de retraite, il en va autrement. Ce n’est ni l’environnement, ni l’établissement, ni la chambre qui comptent. Un résident habite un lit. Peu importe qu’il soit ici ou là. L’action est à contre-pied du discours : plus on est vulnérable, moins on est protégé. » Qui est responsable ? s’interroge le sociologue : « personne, évidemment (…) Le propriétaire vend et n’a pas à se préoccuper de la suite, l’acquéreur n’a acheté que des lits virtuels dans le but de construire pour d’autres un bel établissement ailleurs, le conseiller général a été averti trop tard, le maire n’a pas de pouvoir en la matière, le Conseil général laisse entendre qu’entre rééquilibrage de ses territoires et absence de normes ce n’est pas une mauvaise chose et l’ARS (Agence régionale de la santé) n’a pas les armes juridiques pour entraver une opération commerciale. Qui signe le transfert des lits ? Le Conseil général et l’ARS ? Pour la beauté du geste ? La version médico-sociale de l’autorégulation du marché ? » Pour Jean-Jacques Amyot, « les conséquences de cette irresponsabilité collective sont redoutables. L’immense dispositif d’accompagnement des personnes âgées avec ses formations, ses législations, ses recommandations, ses bonnes pratiques, sa bientraitance, bref son arsenal éthique, peut s’écrouler comme château de cartes au moindre bruissement commercial ? Des centaines de milliers de personnes très âgées peuvent ainsi être déménagées, suivies d’une longue procession de professionnels et d’aidants de proximité qui n’ont qu’à se taire ? Au suivant ? L’adaptation de la société au vieillissement… En voilà une interprétation cynique. Merci aux pouvoirs publics de nous protéger. Sauf du mépris. »
www.agevillagepro.com, 10 février 2015.