Crier la réalité ou préserver le déni ?

Société inclusive

Date de rédaction :
15 décembre 2012

De nombreuses personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer nient l’existence de leur pathologie, parfois avec agressivité. Françoise Rouillon, orthophoniste, écrit dans Le Nouvel Observateur : « Je suis de plus en plus fréquemment amenée à écouter les difficultés des aidants, qu’ils soient familiaux ou professionnels, et à mesurer l’importance du déni, celui du patient lui-même ou celui des proches dans l’agressivité rencontrée de part et d’autre. Les mêmes mots sortent de la bouche de ces patients : “je ne suis pas fou quand même”, “tu me traites comme si j’étais un enfant”, “je suis capable de vivre toute seule tout de même”, “je ne suis pas une petite fille”, “je ne suis pas encore bon à être enfermé”, “je ne suis pas encore mort”… Ils rendent responsables de leur dysfonctionnement praxique [incapacité à effectuer un geste raisonné], gnosique [incapacité de reconnaître par l’un des sens la forme d’un objet, de se le représenter, et d’en saisir la signification], linguistique ou mnésique [propre à la mémoire] les personnes ou les objets qui les entourent : c’est la télé ou le magnétoscope qui ont besoin d’être réparés, les piles du téléphone qui sont usées, le tire-bouchon qui est cassé, le distributeur de billets qui a avalé la carte bancaire qui est hors service, le commerçant qui ne comprend pas le français, la voisine non reconnue qui a changé de coiffure, l’ami qui a vieilli ou grossi, le conjoint qui soi-disant l’accompagnait lors d’une promenade qui est parti sans prévenir et a occasionné l’errance, etc. Le professionnel de santé, quand il reçoit le patient avec l’aidant familial, est fréquemment le témoin de l’agressivité violente du patient envers ses proches. Devant l’énoncé des difficultés croissantes, il nie, s’offusque : “C’est pas vrai ! Il ment ! Elle exagère ! Je ne sais pas ce que je fais là ! Je suis encore capable de vivre tout seul !” La souffrance des proches est alors incommensurable. Continuellement partagés entre respect de l’autonomie et nécessités de la vie quotidienne, entre sécurité et dangers potentiels, entre affection et rejet, entre laisser-faire et substitution, entre crier la réalité ou préserver le déni pour lui conserver sa dignité ».