Chouette !
Société inclusive
« C’est une dame élégante, le visage à peine marqué par l’âge, les cheveux blond cendré soigneusement lissés », écrit Ghislaine Ribeyre, de Paris Match. « D’un geste mécanique, elle plie et déplie sans cesse un mouchoir bleu sur ses genoux. Son regard absent, perdu, et le pli inquiet de ses lèvres le confirment : elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Malgré tous les efforts du personnel des Jardins de Cybèle, pimpante maison de retraite de la campagne dijonnaise, elle ne parle plus. Mais quand Mirabelle se pose devant elle, la dame vrille ses yeux gris dans l’iris noir du rapace. Elle approche son visage à quelques centimètres de la tête en forme de cœur de la petite chouette et lui parle doucement : « Bonjour ! Tu es bien mignonne… » Mirabelle et Prunelle, les deux chouettes effraies et Bibi, le hibou grand-duc de l’association Chouettes du cœur, ne sont pas des oiseaux de proie comme les autres : nés en captivité, ils ont été nourris de jour, pour changer leurs habitudes nocturnes. Grâce à Hubert Josselin, le maître fauconnier, ils interviennent auprès de jeunes autistes et de personnes dépendantes, « avec presque à chaque fois le même résultat spectaculaire et jamais aucun incident. » Pour les résidents, dont les trois quarts souffrent de troubles cognitifs, « c’est comme si on avait allumé la lumière. Un vieux monsieur recroquevillé se redresse pour évoquer ses souvenirs de chasseur. Un autre se lève et fait le tour de la salle avec Mirabelle sur la tête, sous les applaudissements. Une mamie toute frêle enfile le gant de fauconnier et éclate de rire quand Prunelle survole l’assemblée pour venir se poser sur son poignet. Une vieille dame se remémore soudain qu’elle a habité en Alsace où elle voyait des cigognes… « On ne les reconnaît pas ! » s’exclame Leila Souidi, directrice de l’établissement. Les spécialistes évoquent la puissance de la « mémoire émotionnelle », la dernière à disparaître chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. « Les oiseaux de proie offrent une dimension supplémentaire : ils relèvent du merveilleux », ajoute Michel Pacaud, directeur de l’EHPAD de Pierre-de-Bresse (Saône-et-Loire). Il remarque, chez les personnes âgées qui ont « complètement débranché », que les deux seuls êtres « qui provoquent encore des réactions (sourire ou rejet) sont les enfants et les animaux. »
Paris Match,14-21 août 2013. www.huffingtonpost.fr, 14 août 2013.