Chez soi

Droit des personnes malades

Date de rédaction :
01 février 2014

Tout centrer sur le maintien à domicile : tel est le mot d’ordre qui inspire le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, préparé par Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’autonomie, et prévu pour s’appliquer en 2015. Le reste, c’est-à-dire en particulier tout ce qui concerne les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, attendra la seconde partie du quinquennat. La mesure-phare est la hausse du montant de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) qui sera augmentée de 450 millions, afin de diminuer le reste à charge et de permettre à un plus grand nombre de « rester chez soi » (Actualités sociales hebdomadaires, 12 février ; Les Echos, 13 février).

Personne ne se dissimule cependant que l’orientation choisie ne constitue pas une solution-miracle : cela répond aux souhaits de la plupart des intéressés, cela coûte moins cher aux finances publiques, mais cela pose aussi de multiples problèmes d’organisation, de formation, de culture, de conception de l’habitat et de la ville, voire de la société tout entière.

Les aidants familiaux seront les premiers concernés. Comme le souligne un directeur de Maison des aidants, « l’aidant ne s’accorde aucune limite de temps, d’organisation, de compétence. Quand nous le pouvons, nous expliquons, lors de nos formations, que rien n’oblige les aidants familiaux à assumer leur rôle au point (…) qu’ils négligent leur travail, leur conjoint ou leurs enfants (…). Ils ne savent pas qu’ils ont la possibilité de faire appel à un professionnel (…), inconsciemment ils ne veulent pas être aidés. » Et de lancer, un brin provocateur : « La gangrène de l’aidant familial, c’est la culpabilité » (Doc’Alzheimer, janvier-mars 2014).

Quelles que puissent être les réticences des aidants familiaux, il est indispensable d’organiser, dans le souci de leur équilibre et de leur santé, des systèmes de soutien et de répit. La prise en compte de cette nécessité est nettement affichée dans l’ensemble des schémas départementaux et régionaux en faveur des personnes âgées, qui n’hésitent pas à rechercher souvent des solutions innovantes (http://ancreai.org, novembre 2013). Le projet de loi Delaunay va jusqu’à prévoir le financement par l’APA d’une semaine d’hébergement temporaire pour la personne dépendante, ou des journées dans des accueils de jour, afin de ménager un peu de répit aux aidants (ASH, 12 février, op.cit.). Mais Alain Koskas, fondateur du premier accueil de jour associatif à Paris en 2000, se méfie des liens avec les EHPAD (établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) et veut à tout prix garder la spécificité de l’accueil de jour autonome, « dédié totalement au maintien à domicile, au répit pour les personnes âgées et les aidants afin de leur permettre de regagner de l’autonomie et des capacités tant cognitives que citoyennes (…). Le droit de choisir, le droit au consentement, le droit à la dépendance et à la perte même temporaire d’autonomie sont autant de concepts qui constituent la colonne vertébrale du dispositif, comme le droit reconnu à se plaindre, à être entendu et soutenu » (Doc’Alzheimer, op.cit.).

Les Cafés des aidants commencent ici ou là à se répandre : « autour de la table, un psychologue habitué aux questions de l’accompagnement et un travailleur social, connaisseur des dispositifs locaux et nationaux, animent les discussions et tentent de donner des repères pratiques et humains aux aidants » (Le Journal du domicile, janvier 2014).

C’est qu’en effet il n’y a pas de maintien à domicile réussi sans la présence ou le soutien de professionnels. La quasi-totalité des médecins généralistes déclarent suivre au moins une personne âgée dépendante vivant à domicile. Ce suivi nécessite le plus souvent un déplacement chez le patient et un temps de consultation relativement long. Deux praticiens sur trois disent avoir participé activement à la mise en place d’une aide professionnelle à domicile pour les activités de la vie quotidienne. Mais la diversité des métiers auxquels faire appel, la disponibilité très variable des personnels impliqués sont autant d’obstacles à une véritable mission de coordination des soins. Chacun s’accorde donc à considérer qu’une meilleure coopération serait utile (www.drees.sante.gouv.fr, février 2014).

Différentes études ont montré que le répit seul est peu efficace sur l’état d’anxiété ou de santé général du patient : pour être réellement bénéfique, il doit être couplé à d’autres activités. Les plateformes d’accompagnement et de répit, créées par le plan Alzheimer 2008-2012, orientent les personnes en perte d’autonomie et leurs aidants vers différentes solutions personnalisées : écoute et soutien des aidants, activités pour les couples aidant-aidé favorisant la vie sociale, activités de répit à domicile (www.cnsa.fr, 28 janvier).

Dans les situations de crise, les équipes spécialisées Alzheimer (ESA) conseillent les proches de la personne malade et interviennent à domicile pendant une quinzaine de séances. Mais elles peinent ensuite à trouver des structures d’aide à la personne en capacité de poursuivre les interventions en ce qui concerne les activités de la vie quotidienne (aide à la toilette, repas…). Rapidement les familles se retrouvent donc seules, ce qui crée une rupture brusque dans la chaîne des soins et de l’accompagnement. D’où l’intérêt de permettre à des aides à domicile expérimentées de se spécialiser afin d’être en mesure d’assurer une continuité, voire même d’agir en amont dans une approche préventive. Une formation en gérontologie a donc été proposée, notamment en Ile-de-France, à des auxiliaires de vie sociale désireuses de faire reconnaître leur savoir-faire dans ce nouveau champ de pratique professionnelle (Le Journal du domicile, janvier 2014).

C’est le Japon, nation la plus vieille du monde (un quart de la population a plus de soixante-cinq ans), qui réussit à maintenir à domicile le plus fort pourcentage de personnes âgées dépendantes : 76%, contre 68% en moyenne pour les pays de l’OCDE. Dans ce pays, l’assurance dépendance obligatoire, qui constitue une branche à part de la sécurité sociale, est financée à 45% par l’impôt et à 45% par des cotisations sociales versées uniquement par les plus de quarante ans. Les assurés eux-mêmes paient 10% de la dépense. Les prestations sont exclusivement versées en nature (soins à domicile et en institution, aménagement du logement, prévention…) : le système prend en charge 90% de la dépendance. Les services sont gérés par les communes, mais assurés par des sociétés privées (Yomiuri Shimbun, 2 et 4 juin, 29 septembre 2013).

Le maintien à domicile suppose évidemment que le logement soit adapté aux exigences et aux contraintes de la personne malade. Tout commence par le repérage des manques et des besoins. « Tous les jours, explique Thierry d’Aboville, secrétaire général de l’Union nationale du service à la personne (ADMR), nos aides à domicile se rendent chez les particuliers. Il est indispensable qu’ils puissent immédiatement identifier les problèmes inhérents au logement du senior, car toute non-conformité de l’habitat peut devenir un danger potentiel. » En partenariat avec un réseau associatif au service de l’habitat (PACT), ces intervenants font la liste des aménagements nécessaires : rampes, escaliers, ascenseurs, installations des salles de bains… Une expertise professionnelle d’un côté et une présence quotidienne de l’autre : les deux organisations veulent en faire un « binôme gagnant » (Le Journal du domicile, janvier 2014).

Le projet de loi Delaunay prévoit une enveloppe annuelle de 140 millions pour mieux financer des aides techniques favorisant le maintien à domicile : téléassistance, petits aménagements du logement, ateliers de prévention, etc. (Actualités sociales hebdomadaires, 12 février ; Les Echos, 13 février). Dans le même esprit, le fonds sectoriel d’investissement de la Silver économie, lancé le 25 février, a pour objectif d’aider les PME innovantes qui, intégrant outils technologiques (objets connectés, domotique, capteurs, robotique, etc.) et innovation organisationnelle, répondent aux besoins des seniors pour préserver leur autonomie et soutenir les aidants (www.localtis.info, 25 février 2014).

Mais l’essentiel consisterait sans doute à diversifier davantage l’offre d’habitat. C’est ainsi que les directeurs d’établissements au service des personnes âgées (AD-PA) demandent que tous les établissements actuels évoluent en « domiciles à part entière », avec la création d’« une large gamme d’accompagnement aux différents types d’habitat », du domicile historique à la maison de retraite classique. Ces logements alternatifs seraient « assortis de véritables contrats de location et de services », pour « garantir un accompagnement de qualité, assuré exclusivement par des services prestataires et/ou mandataires » (ASH, 7 février). Les caisses AGIRC-ARRCO proposent de faire émerger « de nouvelles formes d’habitat collectif ou diffus, intégrant services et bâti adapté » (www.agirc-arrco.fr, décembre 2013).

« Finalement, constate Bernard Jouannaud, directeur du pôle gérontologique d’un groupe de presse professionnelle, la notion du « domicile » et du « rester chez soi » l’emporte et s’installe positivement dans les esprits (…) L’adaptation de la société au vieillissement reste un long et difficile chemin. Mais il semble désormais bien balisé et mieux compris » (Géroscopie pour les décideurs en gérontologie, février 2014).

Jacques Frémontier

Journaliste bénévole