« C’est bien elle et personne d’autre »
Société inclusive
Le philosophe et helléniste Jean-Pierre Vernant (1914-2007), qui a accompagné son épouse malade, disait : « Je suis convaincu que pour quelqu’un qui a la maladie d’Alzheimer, le fait d’être dans son entourage, pas seulement spatial mais aussi affectif, les contacts, la parole, tout cela éveille un écho à l’intérieur d’un personnage qui a une histoire et un développement psychique singulier. Il y a encore une vie individuelle là-dessous. C’est difficile de dire : “Oh, c’est plus lui, c’est plus elle !” C’est vrai et ce n’est pas vrai.” » Pierre Pachet, dans son ouvrage intitulé Devant ma mère, fait des observations analogues : « Il serait facile pour moi de considérer (que ma mère) ne prête pas d’attention à mon arrivée auprès d’elle… Et même – car c’est cela la tentation – (il serait facile) de penser que ce n’est pas elle qui est là sur ce lit… Ce serait son corps, mais que sa personne n’habiterait plus”. » À cette tentation de l’indifférence, Pierre Pachet objecte, premièrement, un argument factuel : “Quand les infirmières ou les aides-soignantes l’interpellent, elle réagit, tourne la tête, dit quelque chose… Ce n’est pas elle tout entière, mais c’est elle… C’est bien elle et personne d’autre”. Il objecte, deuxièmement, un argument d’ordre éthique : “J’ai l’impression qu’une partie de l’humanité de ma mère est désormais en dehors d’elle, et que par exemple elle est en moi qui vais lui rendre visite, qu’elle m’incombe… Je suis son mandataire et je réponds d’elle autant que je peux”. »