« Celui qu’il fallait convaincre de prendre la bonne direction »

Société inclusive

Date de rédaction :
28 mars 2017

« Bien sûr, le fait qu’il soit atteint d’une maladie de la mémoire et de troubles du comportement soulève des questions : était-il plus juste et plus respectueux de l’enfermer ? Nous ne prétendons pas apporter de solution », poursuivent les amis de Jacky. « Ici, dans ces quelques mots, chacun et chacune témoigne anonymement d’une expérience avec lui, de ce qu’il le fait et le rend de nouveau humain, lui, le simple SDF déshumanisé faisant partie du décor, le « piéton ». Ici, nous faisons le choix de l’appeler Jacky et non Monsieur Heller car il suffisait de l’avoir rencontré une fois pour tisser un lien avec lui. Un lien fait de tendresse et d’amitié et non de pitié, car Jacky montrait une fierté hors du commun, savait s’imposer, et, en même temps, regardait les autres avec des yeux d’enfant, attentif mais prêt à faire confiance. Jacky était celui qui, à travers la fenêtre du camping-car et avec son âme d’enfant, me racontait Strasbourg. Il était celui qui s’affirmait fier d’avoir refait le carrelage de la gare de Strasbourg. Oui, ce sol supportant les gens, les rattrapant, les accueillant. Ces dalles battues du pied par la vie si fréquemment, mais qui résistent au temps. Jacky portait les stigmates de sa longue vie d’errance. Derrière sa barbe grise, son visage était buriné et des dents lui manquaient, mais ses yeux reflétaient sa sympathie et sa gaieté, en même temps que sa fragilité. Il avait certes des problèmes de mémoire, mais les conversations avec lui, parfois en alsacien, se finissaient souvent en éclats de rire. Jacky c’était celui que les copains et les copines de la rue avaient à l’œil, car souvent il fallait le ramener, l’accompagner. Celui qu’il fallait convaincre de prendre la bonne direction. Celui qui savait résister et qui préférait la marche en chaussons à travers la ville plutôt que le tram. Jacky c’était l’incompréhension aussi, parfois la colère rentrée d’un abandon accompagné d’une blague : “il est fugueur”, et l’anecdote : “on l’a retrouvé à Haguenau”. »