Bien vieillir : un oxymore ?
Société inclusive
« La vieillesse apparaît aux yeux de nombreuses personnes comme une période de souffrance et de maux », rappelle le philosophe Eric Fiat, enseignant au master d’éthique médicale et hospitalière à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée. « Loin de ce tableau, certains sont tentés de valoriser un vieillissement fantasmé, voire redécouvrent, à l’occasion de découvertes scientifiques, le mythe de l’éternelle jeunesse. Pourtant, accepter l’automne de la vie, le célébrer, c’est d’abord comprendre la vieillesse comme ce qu’elle est : le signe de notre humaine condition. » Christian Heslon, directeur de l’Institut de psychologie et de sociologie appliquées de l’Université catholique d’Angers (UPRES EA 4638), analyse les visages de la vieillesse contemporaine : « être vieux ne signifie pas la même chose selon qu’on a soixante ou quatre-vingts ans, ou selon la société dans laquelle on vit. L’ancienne figure du vieux sage semble laisser de plus en plus de place à une représentation en négatif de la vieillesse. Les longues espérances de vie obligent à distinguer l’avancée en âge du vieillissement, la maturité et le gain d’expérience de la perte de mémoire et d’autonomie. » Pour Christian Heslon, « bien vieillir » est devenu un oxymore [figure rhétorique par laquelle on allie de façon inattendue deux termes qui s’excluent ordinairement, telle la cornélienne “obscure clarté”]. Ces oxymores sont relayés par les industries cosmétique, pharmaceutique et les idéologies prédominantes, « qui résistent à penser la différence entre “avancée en âge”, “vieillissement” et “vieillesse”. Elles parlent alors de “bien vieillir ” à ceux qui continuent à “avancer en âge” sans vieillir et de “prévention du vieillissement” à ceux qui ne sont pas encore vieux. Le corps social, les médias et les industries s’y accordent. Ils ne savent pas distinguer l’avancée en âge, processus de compensation entre les pertes ressenties et les gains qu’elle autorise, du vieillissement, qui est le moment plus ou moins durable de prévalence du sentiment de perte sur celui de gain. Ils ne savent pas non plus distinguer ces moments de vieillissement de ceux qui signent l’entrée dans la vieillesse, c’est-à-dire dans la dépendance qui préfigure assurément une mort prochaine. C’est ainsi que les oxymores contemporains du “bien vieillir” nous paraissent autant de vœux incantatoires. Sauf à considérer que la seule révolution qui s’est produite depuis ces trois décennies tient au fait que nous sommes devenus vieux plus tard. »
Fiat E. Éloge de la vieillesse. Soins gérontologie 2014 ; 105 : 25-27. Janvier-février 2014. Heslon C. Les visages de la vieillesse contemporaine. Soins gérontologie 2014 ; 105 : 22-24. Janvier-février 2014.