Au centre…
Édito
Médecins généralistes, neurologues, gériatres, psychiatres, infirmiers, représentants des familles ont pris, cette fois-ci, la place des experts patentés, qu’un risque de conflit d’intérêts avait écartés. Ensemble, sous l’égide de la Haute autorité de santé, ils ont élaboré une nouvelle directive sur « le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées » (www.has-sante.fr, décembre 2011).
Le traitement médicamenteux n’est plus qu’ « une option dont l’instauration ou le renouvellement est laissé à l’appréciation du médecin-spécialiste prescripteur », valable pour un an seulement (mais renouvelable). Les « interventions non pharmacologiques » sont définies comme « un élément important de la prise en charge thérapeutique », bien que, « du fait de difficultés méthodologiques », aucune n’ait « apporté la preuve de son efficacité ».
Collégialité et pluridisciplinarité sont recommandées à tous les stades du processus : diagnostic, choix thérapeutiques, évolution de la prise en charge.
Enfin, et peut-être surtout, la personne malade doit être systématiquement mise au centre de tous les choix.
C’est ce dernier principe qui semble orienter, en cette fin d’année, la réflexion de la plupart des medias.
Donner à la personne malade la possibilité de choisir, qu’elle soit et reste le premier bénéficiaire : cette formule ainsi définie par Fabrice Gzil et Paul-Ariel Kenigsberg, de la Fondation Médéric Alzheimer, à propos des technologies d’assistance, vaut tout à la fois sur les plans éthique et pragmatique (www.espace-ethique-alzheimer.org, 2-3 décembre).
C’est ainsi qu’un spécialiste de l’éthique médicale comme Vincent Rialle, énonce cinq conditions à l’acceptabilité de ces technologies : être utiles à la qualité de vie, ne pas être utilisées « contre le malade », tenir compte des souhaits de la personne, mais aussi de ceux qui l’entourent, encourager la personne à développer ses capacités cognitives (ibid).
La Fondation Roi Baudouin déplore que « la maladie occupe toute la scène, l’individu disparaît ». Elle propose donc un guide concret, fondé sur une analyse scientifique des cadres de représentation de la maladie. Parmi les valeurs fondamentales mises au premier plan : « respecter l’autonomie des personnes malades, en les considérant comme des individus actifs et autonomes (…) plutôt que comme des malades dépendants ou des citoyens incapables » ; « considérer les malades comme des sujets, partenaires et non objets de soins » ; ou encore : « comme des citoyens à part entière, avec des droits, des devoirs et un rayonnement social » (www.kbs-frb.be, septembre 2011).
Dans un mémoire-projet récompensé par un prix de la Fondation Médéric Alzheimer, Patricia Cuvelier demande que tout projet de vie et de soins individualisé se conforme à quatre principes : principe d’humanité et de dignité, principe de solidarité, principe d’équité et de justice et principe d’autonomie (www.fondation-mederic-alzheimer.org, 5 décembre).
Une telle réflexion conduit, bien évidemment, à des arbitrages très clairs dans la pratique quotidienne. Par exemple, est-il légitime de proposer à la personne malade un bracelet de géolocalisation en le faisant passer pour une montre ? Pour Catherine Ollivet, présidente de France Alzheimer 93, le recueil du consentement est indispensable, on ne peut utiliser cette technologie que si la personne n’a pas manifesté son opposition (www.agevillagepro.com, 5 décembre 2011). La même intervenante s’interroge sur les progrès de la miniaturisation, qui permet la dissimulation : « on peut très bien imaginer qu’on puisse géo-localiser quelqu’un via une simple puce cachée dans une chemise. Moi, je préfère les bons gros bracelets, bien visibles. Car là, au moins, le malade sera en capacité d’exprimer son éventuelle opposition » (www.la-croix.com, 2 décembre 2011). A propos de l’expérimentation d’un dispositif de change automatique à l’usage des incontinents et grabataires, le gériatre François Piette souligne que le geste du change par les aides-soignants « n’apporte aucune valeur ajoutée humaine. Ce serait un vrai progrès que d’avoir un outil qui assure cette mission. En revanche, il n’est pas question qu’on invente la machine à faire manger les patients, comme dans les Temps Modernes de Chaplin. Car le repas, lui, est un vrai moment de complicité et d’échange » (www.gerontotechnologie.net, 2-3 décembre 2011).
L’ergonome et informaticienne Farah Arab, lauréate ex æquo du prix de thèse 2011 de la Fondation Médéric Alzheimer, montre, du reste, que les personnes malades ne se tournent pas directement vers des solutions d’assistance compensatoire, qui « feraient les choses à leur place », mais vers des solutions alternatives de repli qui leur permettent d’agir autrement compte tenu de leurs facultés restantes (www.fondation.mederic-alzheimer.org, 5 décembre 2011).
La réflexion des medias ne se contente pas, désormais, de mettre la personne malade au centre du dispositif de soins et de prise en charge. Elle tente aussi, pour ainsi dire, de pénétrer au centre de la personne, de mieux saisir sa psychologie, ses besoins, ses affects.
« Le monde médical, la société, la culture et l’histoire font de leur mieux pour nous convaincre que nous sommes bel et bien des malades Alzheimer et rien d’autre. Non, nous sommes nous-mêmes et nous devons pouvoir le rester. Nous sommes non seulement des personnes atteintes de démence, mais aussi des personnes qui aiment, qui ont des désirs et qui partagent la vie de ceux qui s’occupent d’elles », nous rappelle Richard Taylor, docteur en psychologie atteint de la maladie d’Alzheimer (www.richardtaylorphd.com, novembre 2011).
Le professeur Krolak-Salmon estime, du reste, que « des altérations de la cognition sociale, en particulier la reconnaissance des états émotionnels d’autrui pourraient permettre d’expliquer, au moins en partie, certaines modifications psycho-comportementales observées dans certaines maladies neuro-dégénératives, notamment (…) la maladie d’Alzheimer (…). Ce type de déficit est associé à « un désinvestissement social, une mauvaise interprétation des codes sociaux, induisant des réactions émotionnelles inadaptées, parfois des troubles du comportement comme une irritabilité, voire une agressivité, une labilité émotionnelle ou au contraire une indifférence affective » (Revue de médecine interne, 18 novembre 2011). Bien loin d’être un épiphénomène, les émotions sont ainsi replacées au cœur même de l’étiologie Alzheimer.
Une telle réflexion trouve immédiatement son application pratique dans les thérapies fondées sur la réminiscence. C’est ainsi que les gériatres écossais se sont rendu compte que seule la mémoire du football réussissait à réveiller les émotions des personnes malades de sexe masculin. Le professeur Debbie Thompson en a fait un sujet de recherche. Selon elle, « l’anticipation du plaisir, associée à un sens de la continuité, apparaissent comme des mécanismes importants déclenchant un bénéfice optimal » (Nursing Inquiry, 24 septembre ; http://fr.fifa.com, 25 novembre 2011).
Le plaisir : ce mot-clé est aussi à la base des recherches menées à Lyon, au sein de l’Institut Paul-Bocuse : le « manger-mains a été réévalué pour mieux lutter contre la dénutrition des personnes malades en leur redonnant le plaisir de manger, grâce à un jeu sur la forme, le goût, la couleur des bouchées (www.lyoncapitale.fr, 15 décembre 2011; www.senioractu.com, 14 décembre 2011).
En France, de nombreuses initiatives de terrain s’inspirent du même esprit. Une maison de retraite des Landes a ainsi mis en place un pôle d’activités et de soins adaptés (PASA) entièrement axé autour de la réviviscence des émotions du quotidien : « une communication émotionnelle très forte et atypique, basée sur l’empathie réciproque », qui « tisse des liens sur un mode non-verbal, avec un impact positif sur l’état de santé, l’humeur et le sentiment de bien-être » des résidents (www.sudouest.fr, 26 novembre 2011).
« Bien-être corporel, mise à distance des angoisses, réactivation de sensations archaïques, omniprésence du corps et des émotions, restauration de l’image de soi, moments de plaisir (…) : il est réconfortant de constater combien la communication non verbale, et plus largement la sollicitation des capacités existantes et en particulier perceptives se situent désormais au cœur des pratiques professionnelles », écrivent Michèle Frémontier, directrice de la Fondation Médéric Alzheimer, et le docteur Jean-Pierre Aquino, gériatre et conseiller technique (www.fondation-mederic-alzheimer.org, 12 décembre 2011).
Restaurer l’image de soi, c’est aussi l’un des principes majeurs qui guide les praticiens des interventions cognitivo-linguistiques, inspirées de la méthode Montessori (Topics in Geriatric Rehabilitation, octobre-décembre 2011).
James McKillop, du Scottish Dementia Working Group, nous offre peut-être le plus beau paradigme de cette réflexion de fin d’année : « J’ai voulu me rendre à un congrès annuel de soignants, mais on ne m’a pas laissé entrer. Parce que j’étais atteint de démence. Ça a été le déclic pour moi. Un an plus tard notre groupe de travail était constitué et j’ai pu participer à ce même congrès en tant qu’orateur officiellement invité » (www.kbs-frb.be, septembre 2011).
James McKillop avait su se remettre au centre.
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole