Approches ethniques et culturelles : vivre ensemble ou mourir entre soi ? (1)
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Est-il naturel et pratique de répondre au phénomène des communautés ou faut-il s’en méfier », interroge Constance Vergara, dans une enquête du Journal du domicile sous-titrée Ghettoïsation ou paradis terrestre ? » Lorsque les uns sont malades, les autres infirmes ou simplement usés par la vie, certains ont ce réflexe naturel de vouloir finir leur vie entre personnes semblables dans une maison de retraite communautaire. Pourquoi, en effet, ne pas considérer que c’est une ultime étape de notre vie où nous n’aurions plus d’effort à fournir ? Une sorte de jardin d’Éden où les personnes de même religion, ayant la même histoire, la même culture, échangeraient comme dans un même quartier ? » Mais pour la journaliste, « le “vivre ensemble” semble bel et bien avoir perdu de ses couleurs. Doit-on pour autant promouvoir le “mourir entre soi” et renoncer à la mixité, au partage ? Doit-on agiter le chiffon rouge “Attention, communautarisme en vue » ? et dans son ombre, un risque grandissant de ghettoïsation de la société. Qu’on soit gay, juif ou musulman, a-t-on en France la possibilité en France de choisir un établissement offrant l’assurance d’une vie en communauté ? » À Marseille, le groupe Dolcéa a repris la Villa David, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Le Conseil général et l’Agence régionale de santé ont permis à ce projet de voir le jour en 2013. Thierry Morosolli, directeur général du groupe, explique : « nous sommes dans un coin de France où il y a beaucoup de Juifs séfarades revenus d’Algérie. La vie juive de l’établissement est assurée toute la semaine par un chomer (surveillant des rites) sous l’autorité du Consistoire israélite de Marseille. » Thierry Morosolli précise que 20% des résidents ne sont pas de confession juive : « c’est une maison ouverte à tous. On peut penser que la mixité, c’est mieux, et qu’il ne faut pas tomber dans ce communautarisme, mais ça fonctionne bien, alors pourquoi s’en priver ? Il y a une forte demande. Répondons-y. » Des associations musulmanes réfléchissent à une maison de retraite musulmane en France, où il n’existe encore aucun exemple concret. Abdelkader Dahmichi, imam et théologien au Centre islamique de Belgique, explique : « l’ancienne génération retournait “au pays” juste avant de mourir. Ce retour n’a plus de sens pour nos parents, nés en Belgique ou qui ont construit toute notre vie ici. Pourquoi les faire partir dans un pays d’origine qu’ils ne connaissent plus, où ils n’ont plus ni amis ni attaches ? À cela, s’ajoute le manque d’espaces dans les appartements familiaux de la communauté, qui ne permet plus de garder ses aînés à la maison comme le veut la tradition. » L’écrivain Tahar Ben Jelloun confirme : au Maroc, « les maisons de retraite n’existent pas. C’est une question de tradition et de culture. Quand il y a des moyens financiers, la personne âgée a du personnel à la maison, c’est vrai, mais c’est une aide qui vient s’ajouter à celle, permanente, de la famille qui se relaie à son chevet. » N’y a-t-il pas un risque de ghettoïsation ? « Non, c’est normal en fin de vie de vouloir se regrouper au sein de sa communauté, qu’elle soit religieuse, culturelle ou sexuelle. Il ne faut pas s’enfermer non plus, c’est vrai. Toute personne qui viendra dans notre maison de retraite, quelle que soit son idéologie, sera bienvenue », déclare l’imam. « Non, c’est une question de commodité », répond l’écrivain. « Il ne faut pas en avoir peur. C’est vrai que le mélange, la différence quand on est jeune, c’est important et sympa, mais lorsqu’on arrive à la solitude de la vie, je constate qu’on a tendance à aller vers ses origines. C’est quelque chose qui nous rattrape. »
Le Journal du domicile, février 2015.