Âgisme sémantique : dites plutôt…
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Notre discours, depuis Descartes, se trouve largement imprégné, réduit parfois, phagocyté, voire colonisé par les techniques, la médecine et l’économie, au détriment des sciences humaines, des compétences psychosociales, des émotions », écrit Richard-Pierre Williamson. « Face à cette monoculture intensive qui a peu à peu uniformisé nos paysages intérieurs, il s’agit de ramener de l’écologie humaine qui façonne, avec des mots choisis, nos territoires intimes et singuliers. Il faut reboiser notre langage et, pour cela, témoigner. » Il propose le récit alternatif suivant : « Nous avons réfléchi au soutien à domicile (et non “maintien”) de notre maman qui est touchée (et non “malade”) par des troubles de la mémoire, une maladie de l’esprit. La coordinatrice du centre local d’information et de coordination nous a écoutés, compris, accompagnés ; le « café des aidants” nous a fait du bien et soutenus. Le soutien à domicile devenant très complexe, le relais a été pris par une “référente de situation” (et non “gestionnaire de cas”), ce qui a permis à notre mère de rester chez elle plus longtemps que nous ne le pensions. Nous avons pris ensemble la décision de l’accompagner (et non de la “prendre en charge”), c’est-à-dire de faire compagnonnage avec elle vers un accueil (et non un “placement”) en maison de retraite (et non en EHPAD). Sa chambre sera son nouveau domicile, son lit à hauteur variable sera adapté (et non “lit Alzheimer”), son mobilier viendra en partie de chez elle, le personnel utilisera si besoin un lève-personne (et non “un lève-malade”). Nous serons associés aux choix. Notre mère, malgré une perte d’autonomie importante, conserve des ressources, des capacités. Elle manifeste des désirs, parfois de la tristesse, mais aussi de la joie. Elle aime qu’on la touche, qu’on la caresse, que l’on soit simplement à côté d’elle. Elle aime écouter de la musique. La présence du chien dans la maison de retraite est rassurante. Le personnel est très affairé mais il est attentif et chaleureux ; quand il est surchargé, il sait nous l’expliquer. Le “projet de vie” nous a permis de faire le point avec l’équipe sur l’histoire de notre mère, sur ses habitudes de vie, ce qu’elle n’aime pas, ce qu’elle aime. Elle est à la fois une résidente, une patiente parfois, une cliente, une bénéficiaire, et parfois, elle est malade. On ne fait pas le “deuil blanc” de notre mère (même si elle est différente aujourd’hui) parce qu’elle est toujours là, elle est toujours vivante. »
Actualités sociales hebdomadaires, 20 mars 2015.