A Lezaï on meurt en vrai (1)

Société inclusive

Date de rédaction :
01 octobre 2010

Céline Feillel écrit : « depuis que Mamie a la tête à l’envers, rien ne va plus à la maison ! Le mot Mamie ne doit plus être prononcé sinon Maman pleuviote ou alors gronde. Papi sourit tout le temps et fait semblant, l’air de dire : « tout va bien ! Tout va bien ». Le docteur, lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle avait Mamie, il a répondu : « A Lezaï on meurt » (Alzheimer) et même qu’il trouvait cela « extraordinaire » parce que c’était sa plus jeune patiente (Mamie a soixante-quatre ans). Cela a mis Maman en colère. Quand elle est rentrée ce soir-là, elle a claqué la porte et il valait mieux ne pas trop se faire remarquer (…) ». Céline se souvient : « au début, Maman disait oui à tout : elle était dans la peine et Papi avait l’air complètement déboussolé mais peu à peu elle a senti le piège se refermer sur elle : s’occuper de ses parents pendant des lustres, alors qu’elle nous a ma sœur et moi, qu’elle a choisi l’indépendance, qu’elle a plein de trucs à faire… Un jour elle a dit stop à Papi : « je ne suis pas une professionnelle du soin, moi, et je refuse de faire la toilette de Maman. Ce sont mes limites ! Papa, il est temps de contacter une association d’aide à domicile ». Mais Papi, il n’était pas prêt : il n’osait pas le dire à ses voisins, à ses amis, que Mamie avait la tête à l’envers, alors, faire venir quelqu’un de l’extérieur, ce n’était pas gagné ! Il a fallu attendre de longs mois, au moins deux hivers, avant que Papi accepte enfin qu’à Lezaï on meurt en vrai, et que Mamie était très concernée par cette nouvelle. Mamie l’a aidée de toute façon à prendre une décision, parce que pendant tous ces mois, elle a oublié, et oublié et oublié encore : la manière de mettre son gilet, elle ne trouve plus les manches, la manière de se coiffer, de se laver, la manière de parler, elle ne finit plus ses phrases, la manière d’appeler un objet par son nom, elle se trompe de mot tout le temps… Elle se lève et se rasseoit, elle demande l’heure et dit « il fait chaud »… Papi ne pouvait plus faire semblant : « tout va bien ! Tout va bien ! » : la maladie de Mamie, maintenant, ça se voit. Les dames de « l’Aide des mères » [l’ADMR-l’Association du service à domicile] sont entrées dans la maison », ce qui ne s’est pas fait si facilement.

Feillel C. La tête à l’envers. In :Histoires de proches. Face à la maladie. 35 récits. Annick Roche, coordonnateur. Editions Jacob-Duvernet, Paris, octobre 2010.