Humain, social
Édito
Il est né, il est enfin né, après deux années d’attente, le tant espéré Plan Maladies neuro-dégénératives. Avec la bénédiction de trois ministres, il prend la suite de trois plans Alzheimer (www.social-sante.gouv.fr, 18 novembre 2014).
Nous ne nous lancerons pas dans l’exégèse des innombrables réactions – éloges, critiques, propositions d’amendements – que cette initiative gouvernementale a suscitées. C’est dans le domaine où la Fondation Médéric Alzheimer a affiché sa particulière compétence – la recherche appliquée en sciences sociales et humaines – que nous concentrerons notre regard.
Dès le 19 novembre 2014, la Fondation a souhaité l’introduction d’une mesure spécifique consacrée à ce secteur de la recherche : « La maladie d’Alzheimer touche le corps social dans son entier. Le recours aux sciences humaines et sociales peut permettre de comprendre les enjeux sociétaux et d’apporter des réponses pertinentes aux défis posés par les maladies neurodégénératives, que ce soit par exemple en termes d’éthique et de protection juridique des personnes malades, d’adaptation de l’environnement et de l’habitat, ou encore d’économie, afin de mieux connaître les conséquences financières d’une prise en charge pour les malades et leur famille » (www.fondation-mederic-alzheimer.org, 19 novembre 2014).
La lecture des medias de ce mois ne peut que renforcer et légitimer ce point de vue d’experts, qu’il s’agisse de sociologie ou de psychologie, de droit ou d’éthique.
Le nouveau plan tient-il suffisamment compte de la psyché des personnes malades et de leurs aidants ? Cette dimension de la maladie peut prendre parfois les aspects les plus inattendus. Une étude menée par des neuropsychologues suédois montre que le risque le plus élevé de survenue de la pathologie est observé, au milieu de la vie, chez les femmes les plus anxieuses, jalouses et d’humeur changeante (Neurology, 1er octobre).
Analyser correctement un trouble du comportement (et tenter d’y remédier) implique très souvent de plonger dans les profondeurs de la psychologie de la personne malade. Pourquoi l’incontinence, par exemple ? Cela peut tenir, outre les causes purement physiologiques, à une dépression, qui entraîne un manque de motivation pour aller aux toilettes. Ou à une gêne devant la nécessité de faire appel à l’aide d’autrui. Ou à la honte d’être mis en situation d’échec (www.euro.centre.org/data/DementiaCareContinence, 8 octobre 2014).
Une recherche menée à l’Université John Hopkins de Baltimore conclut que, pour améliorer la participation des personnes malades à des activités visant à améliorer leur qualité de vie et à réduire leurs troubles comportementaux, il faut veiller notamment à ce que ces animations soient, pour ces personnes, porteuses de sens. Ce qui suppose de se mettre à leur écoute, voire d’explorer leur histoire de vie. Une telle démarche permettrait aussi de modifier l’environnement (éclairage, niveau sonore ambiant) pour mieux tenir compte des désirs de chacun (Health, Education and Behavior, octobre 2014).
Des psychologues de l’Université de Bangor (Pays de Galles) ont pu souligner l’importance des liens d’attachement à tous les stades de la maladie, avec une « fixation parentale » lorsque ces besoins d’attachement ne sont pas reconnus : les personnes malades imaginent que leurs parents ou leurs proches sont encore vivants et sont obsédées par l’idée d’un retour dans leur famille (Dementia, novembre 2014).
Un essai clinique, contrôlé et randomisé, mené à l’University College de Londres, a évalué l’efficacité d’une formation individuelle des aidants par des doctorants en psychologie. Par rapport au groupe témoin, les bénéficiaires de cette aide ont connu une réduction significative (-76%) de la dépression à court et à long terme (Health Technology Assessment, octobre 2014). Les experts de la Croix-Rouge française, pour mieux moduler l’assistance aux aidants en fonction de leur personnalité, distinguent quatre types de caractères : les « alarmistes », qui insistent sur les conséquences négatives de leur vécu ; les « détachés », qui essaient de prendre du recul ; les « optimistes », qui veulent positiver leur activité ; les « philosophes », qui préconisent l’humour comme voie du retour à leur équilibre (www.croix-rouge.fr, 5 novembre 2014).
Une expertise sociologique ou anthropologique peut, elle aussi, se révéler indispensable pour faire face aux défis de la maladie d’Alzheimer. C’est ainsi, par exemple, que les personnes âgées hébergées en foyer de travailleurs migrants posent des problèmes tout à fait spécifiques : elles connaissent souvent un vieillissement précoce et risquent de perdre plus tôt leur autonomie. La Mairie de Paris expérimente un module d’accompagnement portant sur leurs besoins en termes de santé, de lien social, d’accès aux droits et de prévention de la dépendance (www.paris.fr, septembre 2014).
De la même façon, la résistance aux différentes formes de maltraitance peut être fragilisée par l’appartenance à une minorité : des études ont montré combien les immigrés chinois pouvaient en être victimes au Canada et en Australie (www.emerldinsight.com, Journal of Elder Abuse and Neglect, 24 octobre 2014).
La recherche en sciences humaines et sociales sur la maladie d’Alzheimer ne saurait davantage se passer de juristes. L’application de la loi de 2007 sur la protection juridique des majeurs a très vite montré ses limites. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales dénonce « un déficit d’information et de communication autour du dispositif et son insuffisante appropriation par les travailleurs sociaux ». Seuls cinq mille contrats de protection future ont été contractés à ce jour. Le ministère de la Justice, face à cette situation, envisagerait de permettre au juge, sous certaines conditions, d’habiliter un membre de la famille à agir dans l’intérêt d’un proche hors d’état de manifester sa volonté (www.igas.gouv.fr, juillet 2014 ; Actualités sociales hebdomadaires, 31 octobre 2014).
Les abus de faiblesse au grand âge sont majoritairement d’ordre financier : ventes forcées ou préemption de patrimoine. Ainsi un jardinier de trente-huit ans s’était pacsé avec une très vieille dame. Le réseau ALMA, spécialisé dans les alarmes à la maltraitance, a pu contacter le notaire avant que le nouveau pacsé ne récupère les biens convoités. Solange Girard, magistrate et présidente de la Confédération contre la maltraitance, rappelle les conditions dans lesquelles tout citoyen est tenu de signaler à une autorité administrative ou judiciaire les actes de maltraitance dont il aurait eu connaissance (www.agevillage.com, 12 novembre 2014). C’est souvent au clinicien qu’il revient de s’entretenir avant tout avec la victime afin de découvrir et de bien définir le préjudice (Clinics of Geriatric Medicine, novembre 2014).
Mais ce sont peut-être les spécialistes de l’éthique dont le besoin se fait le plus sentir à tous les stades de la maladie. À l’heure du diagnostic, faut-il dire la vérité au malade ? Trois lycéennes de première S d’un lycée de Sedan (Meuse) ont mené une enquête de terrain auprès des personnels de santé d’un établissement d’hébergement proche de leur ville, qui disent garder le silence à la demande de la famille… et se sentir fortement coupables de devoir mentir. Elles concluent leur travail en soulignant l’importance de respecter les personnes malades : « se taire, écrivent-elles, c’est leur voler une information, même si elle est difficile à entendre, qui leur appartient et dont elles ont peut-être besoin pour vivre dignement » (Soins Gérontologie, novembre 2014).
Faut-il légiférer sur la fin de vie ? Consulté par le Président de la République, le Comité consultatif national d’éthique s’est contenté de donner une liste des points de consensus et de désaccord, sans donner d’avis conclusif (www.ccne-ethique.fr, 23 octobre 2014). Auditionnés le 1er octobre par les députés Jean Léonetti (UMP), initiateur de la loi actuellement en vigueur, et Alain Claeys (PS), les représentants des cultes catholique, protestant et juif se sont tous prononcés pour le maintien du statu quo. Mgr d’Ornellas, archevêque de Rennes, souhaite promouvoir une « culture du « bien mourir », passant par le développement des soins palliatifs » (www.la-croix.com, 1er octobre 2014). Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, réclame, lui, le « droit politique de vivre dans la dignité », c’est-à-dire le devoir de respecter les personnes malades jusqu’au terme de leur existence (http://emmanuelhirsch.fr, 14 novembre 2014).
Colette Roumanoff, dont le mari, Daniel, souffre de la maladie d’Alzheimer, pose les vraies questions : « Si je fais ceci ou cela, qu’est-ce que l’autre va ressentir ? (…) Qu’est-ce qu’il va devenir, quelle va être sa journée, quelle va être sa vie ? C’est donc une présence à ce qui est, à ce qui arrive, et qui souvent se cache derrière les apparences (…) L’autre dépend de moi et moi, je dépends de lui. Car la dépendance est à double sens toujours. C’est dans ce parcours, confrontée à la pathologie, que j’ai trouvé l’amour » (http://bienvivreavecalzheimer.com, 25 octobre 2014).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole