Alzheimer… même toi, on t’oubliera, de Mélanie Talcott

Société inclusive

Date de rédaction :
08 juillet 2015

Norma a consacré une grande partie de sa vie à soigner les autres, jusqu’au jour où elle bascule de l’autre côté du miroir. À son tour atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle commence une nouvelle vie à l’autre bout du monde, volontairement coupée des siens. Longtemps Léa, sa petite-fille, s’est interrogée sur la disparition étrange et soudaine de sa grand-mère. Peu avant de mourir, Nathan, son grand-père, lui remet une longue lettre que Norma a écrite aux prémices de sa maladie, à l’attention de cette petite fille qu’elle n’aura jamais vu grandir : « on a beau en rire, on a beau ne pas y croire et pourtant parfois, à force de répéter certains mots, ils finissent par épouser la chair et s’y ancrer. On me disait souvent que j’étais ailleurs, par trop distraite, que je n’écoutais pas, que j’oubliais avec un bel aplomb ce qui venait de m’être dit. On me chambrait, m’appelant Alzheimer. La mise en garde suprême contre le danger qui guette tous les rêveurs… Celui-ci a fini par les entendre. C’est pourquoi je t’écris avant que tout file en quenouille, avec cette étrangeté de me demander si parfois les testaments ne sont pas autre chose que de funestes prémonitions… » Pour la romancière Mélanie Talcott, la maladie d’Alzheimer n’est pas envisagée dans son aspect clinique, mais comme une métaphore significative de notre société où le zapping [fait de changer rapidement d’activité, d’idée, de sentiment] se décline comme une fuite en avant. « Pourquoi moi ? Pourquoi ce kidnapping organisé de mon être ? Je ne me trouve aucune faute dévastatrice et encore moins salvatrice. Pas la moindre culpabilité. La perspective de cet effacement progressif me laisse abasourdie. Pour se souvenir, disait Platon, il faut d’abord avoir oublié. Oublier quoi ? Se souvenir de quoi ? Époque de transhumance ? Alzheimer, un transfuge de notre glaciale modernité ? Soit ! Envisageons que comprendre Aloïs, c’est comprendre mes cicatrices et que comprendre Alzheimer, c’est comprendre la blessure de notre époque. Deux approches complémentaires qui se font écho. Le Moyen-Âge a eu la peste, le seizième siècle la syphilis, le dix-neuvième la tuberculose, le vingtième le sida. Notre vingt-et-unième siècle, lui, patauge dans le syndrome de Münchhausen [trouble psychiatrique dans lequel une personne produit intentionnellement ou fausse les symptômes afin d’être considérée comme malade ou blessée, pour obtenir l’attention du corps médical] ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, faire comme si, être victime. Il y a eu le siècle des Lumières, il y aura le siècle de l’Oubli. Amnésie générale ! Pourquoi ? Et pourquoi pas ? Peut-être que la différence entre hier et aujourd’hui est qu’entre la nuit de toutes les nuits et nos aurores patibulaires, on a inventé la virtualité, la vraie vie et l’autre, que l’on se garde bien néanmoins de qualifier. Pour l’heure, Aloïs y fait encore figure d’exilé, un sans-papier de la mémoire. »

Talcott M. Alzheimer… Même toi, on t’oubliera. Corridor Elephant Editions. ISBN : 978-2-37228-040-2. 267 p. 7 janvier 2015. www.corridorelephant.com/#!roman-melanie-talcott/c1ucs. http://blogs.mediapart.fr/blog/melanie-talcott/190715/alzheimer-meme-toi-toubliera, 19 juillet 2015.