« Il me laisse là, à essayer de comprendre »
Société inclusive
L’épouse d’une personne atteinte de maladie d’Alzheimer à un stade sévère témoigne : « Mes journées sont comme la lumière de cet été où chaque jour nous perdons quelques minutes de soleil… Je navigue entre deux mondes : celui que nous connaissons tous et celui d’Alzheimer. Je m’y hasarde souvent, mais n’entre pas en Alzheimer qui veut. En fait, je suis un chercheur qui part pour un pays obscur, mais mon bagage ne sert à rien. Le raisonnement, la logique, la conscience ne sont que des fardeaux. Pour rentrer en Alzheimer, il faut les laisser au seuil de la porte. Passé le seuil, c’est un monde étrange qui s’offre au regard, un monde où les mots ne veulent plus rien dire. Tout se transforme dans l’esprit. Ainsi, un robinet peut devenir une fleur. La vue d’une chaise peut effrayer. Plus rien n’a de sens, on est près du vertige. C’est un monde bâti sur la destruction des choses. Mon mari, qui habite cet univers-là, me surprend toujours. Il dit bonjour à des gens qui n’existent pas, ou qu’il est seul à voir. Il peut partir sans prévenir, sans but apparent, comme si quelque chose d’urgent l’attendait. Et il me laisse là, à essayer de comprendre. »
Cité dans : Lefebvre des Noëttes V et Fonseca I. Quelles sont les traces d’esprit dans un corps qui se délite chez les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ? Neurologie Psychiatrie Gériatrie 205 ; 15(88) : 236-243. Août 2015.
www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1627483015000355.