In memoriam : Richard Taylor (1943-2015) – “j’essaierai toujours d’être Richard”
Société inclusive
Voici le dernier éditorial de Richard, laissé sans corrections : « Bonjour, encore. C’est toujours Richard qui est là, toujours vivant avec de plus en plus de symptômes de la démence que je ne peux plus apparemment maîtriser ou surmonter. C’est certainement le signe de mon âge avancé, à chaque nouvelle lettre le chapitre sur la détérioration de la santé devient plus volumineux. Ce numéro n’est pas différent, mais je vous épargnerai les détails et mentionnerai juste que mon cœur est parfois hors de contrôle, que l’accumulation de liquide me fait mal aux poumons, et que les symptômes plus nombreux et plus forts de la démence en sont au point où je n’arrive plus à les « fixer » pour qu’ils n’interrompent pas la vie que je veux mener. Sans le savoir vraiment, j’ai été submergé par mes incapacités cognitives. Comme une couverture soigneusement étendue sur ma tête lorsque je dormais, et lorsque je me réveillais je voyais et réagissais à un monde différent autour de moi, et en moi. Je ne peux plus faire confiance à mon jugement. Je ne peux plus gérer mon propre calendrier, mes réunions, mes allées et venues jour après jour. Je sais toujours quoi faire, la plupart du temps. Simplement j’oublie, je confonds ou je mélange tout pendant que je le fais. J’ai perdu encore du poids et j’en suis au point où mon médecin veut que je me déplace avec une tubulure de nutrition pendant à mes côtés. C’est un peu comme si j’arpentais les allées des supermarchés et que le tube reniflait les choses que je dois manger, les pulvérisait, les aspirait dans mon flanc et les déposait quelque part dans mon intestin grêle. Il n’y a pas grand-chose de nouveau dans ces nouvelles, qui constituent une réflexion sur la façon dont je vois la maladie d’Alzheimer, particulièrement la recherche, et l’association nationale Alzheimer. Toujours les mêmes vieilles rengaines, les mêmes vieilles œillères, le même vieux manque de plan, le même vieux gémissement pour l’argent, beaucoup plus d’argent. Ils célèbrent les actions d’une commission parlementaire qui a voté une rallonge de 350 millions de dollars en plus des quelques 545 millions qu’ils sont déjà en train de dépenser, sans idée de comment le dépenser, ou pourquoi le dépenser ici plutôt que là. Certains partisans de la recherche brandissent déjà la menace que si le Congrès ne votait pas un financement à hauteur de 2 milliards de dollars, ils ne pourront jamais atteindre le petit bout de paradis qu’ils ont promis pour 2025. Leur objectif est « un monde sans Alzheimer », et je n’ai aucun doute que s’ils trouvent la cause, cela aura peu à voir avec le processus de la maladie, et davantage avec le vieillissement naturel, comme l’arthrose ou la perte de la vision. Nous pourrons travailler sur les symptômes, mais jamais arrêter l’horloge du vieillissement. Même avec les traitements les plus coûteux, même si l’on trouve un moyen de se payer le traitement sans avoir à vendre ses propres organes, il faudra encore attendre le décès des cinq millions de personnes vivant avec une démence pour pouvoir dire, de façon réaliste, qu’un monde sans démence serait probable ou possible. D’ici là, je continuerai à vivre ma vie du mieux que je peux, avec de plus en plus de soutien. Je n’abandonnerai jamais, jeté au linge sale, avec une couverture sur ma tête en attendant que la prochaine loterie commence. J’essaierai toujours, jour après jour, aussi fort que je le peux, d’être Richard. J’essaierai tous les jours de trouver de la joie, du sens, de l’utilité, un but dans ma vie. J’invite mes cinq millions d’âmes sœurs (kindred spirits) à se joindre à moi : adoptez une image positive de vous-mêmes, essayez de tirer le maximum possible de chaque jour ! Trouvez un but et vivez à travers ce but. Vraiment, soyez tout ce que vous pouvez être, pas ce que les “experts” vous disent. »
Alzheimer’s From the Inside Out. News and views from between the ears of Richard Taylor, a person living qith the symptoms of dementia. Ultime édition, 10 août 2015.