L’interlocutrice, d’Odette et Geneviève Peigné
Société inclusive
Odette, aujourd’hui décédée, dont les dernières années ont été marquées par la maladie d’Alzheimer, lisait encore, ou du moins tournait-elle les pages des romans policiers de la collection Le Masque. Après sa disparition, sa fille a constaté que vingt-trois d’entre eux comportaient d’abondantes annotations manuscrites, marginales ou insérées entre les lignes imprimées. Dans L’interlocutrice, Geneviève Peigné fait le récit de sa découverte et relève minutieusement ces notations en essayant de comprendre à quelle nécessité obéissait cette frénésie d’ « écriture interstitielle ». « Un livre inclassable : il contient du biographique, du documentaire, de l’autobiographique, de la réflexion sur la maladie, la souffrance, la filiation, mais tout cela à l’intérieur d’une langue attentive à elle-même, libre dans sa forme, qui touche à la poésie », écrit Ludovic Degroote, sur le blog Poezibao. « L’interlocutrice offre un accès rare à l’intériorité de celle qui est fermée. Celle qui ne répond pas aux questions, sans doute par peur d’être jugée ou brutalisée. Celle dont le langage est devenue stéréotype, dont l’expression a fondu, réduite à un vocabulaire en flaque, fiasco des mots pauvres, des phrases rabâchées. À celle qui ne s’exprime pas, les livres prêtent leur voix », écrit Lou, sur www.undernierlivre.net. « Un document brutal. Le corps s’y impose, cru, impuissant, réduit à des fonctions premières. Souffrance des membres, perte de contrôle, dépendance. Des heures passées dans l’attente de son mari, de l’infirmière, de l’autorisation d’aller aux toilettes. Du sommeil qui ne vient pas. Le temps est long quand il se répète sans cesse », résume Geneviève Peigné. Éric Chevillard, du Monde, écrit : « surtout, elle s’efforce de démontrer que ce corpus est bel et bien devenu “l’œuvre” de sa mère, laquelle s’est approprié ces romans policiers pour y inscrire sa douleur, son angoisse, ses hantises. Des fac-similés de ces pages annotées ponctuent le récit afin de donner corps à cet écrivain du sauve-qui-peut. » Odette intervient aussi dans le texte même. Elle souligne ou retouche des phrases qui, dès lors, s’immiscent dans les dialogues. Si un personnage propose un thé à un autre, elle lui répond qu’elle préfèrerait pour sa part un décaféiné. Elle n’écrit jamais rien sur des feuilles vierges. « C’est d’écrire adossée à un livre qu’elle cherche », souligne sa fille : ses propres mots profitent de l’autorité du texte imprimé, de la suite logique des pages, pour donner « un cadre et un ordre à une existence qui se défait dans l’incohérence et la confusion mentale » : ainsi demeure, inaltéré, quelque chose de sa personnalité qui serait sans cela complètement aboli par la maladie, conclut Éric Chevillard. « Un récit bouleversant et exceptionnel, par l’éclairage direct qu’il offre sur la maladie et par le travail stylistique accompli par l’auteur sur le matériau brut pour ressusciter la disparue. Enfin, par l’hommage vibrant rendu par l’ensemble à la littérature, ce refuge où converser avec des compagnons de papier et trouver les mots qui sublimeront la maladie », écrit Jeanne de Ménibus dans Le Figaro Magazine. « On peut (on doit ?) avoir confiance en ce lien inaliénable entre frères humains, dans cette connivence, dans ces émotions qui passent jusqu’au bout », écrit Annie de Vivie, dans un éditorial d’Agevillagepro intitulé Tout n’est peut-être pas si noir.
Peigné O et G. L’interlocutrice. Paris : Le nouvel Attila. 16 septembre 2015. 120 p. ISBN 978-2-3710-0012-4. www.lenouvelattila.fr/linterlocutrice/, 9 octobre 2015. Le Figaro Magazine, 9 octobre 2015. http://poezibao.typepad.com/poezibao/2015/09/note-de-lecture-genevi%C3%A8ve-peign%C3%A9-linterlocutrice-par-ludovic-degroote.html, 28 septembre 2015.www.lemonde.fr/livres/article/2015/09/24/le-feuilleton-entre-les-lignes_4769507_3260.html#6QCUvhMiZ1mIOg4J.99, 25 septembre 2015. www.agevillagepro.com, 22 septembre 2015. www.undernierlivre.net/linterlocutrice-genevieve-peigne/, 2 octobre 2015.