« Il faut que je m’organise pour mentir »
Société inclusive
Une des personnes explique que la perte de mémoire ne la gêne pas au quotidien, mais qu’elle ne sait pas quoi répondre à sa fille qui lui demande ce qu’elle a fait de sa journée. Une autre a peur de la maladie et voudrait savoir où en est la recherche. Chacune raconte ses stratégies pour tenter d’enrayer cette perte de mémoire : « chanter en anglais » ; « un petit carnet » ; « des petits papiers partout » ; un itinéraire au fond de la poche pour retrouver l’accueil de jour ; « lire », une nécessité martelée ; un petit chien qui connaît mieux que sa propriétaire le chemin pour rentrer à la maison. « Plutôt mourir que la maison de retraite », dit Odile. Elle tempête contre les « chansons sirupeuses et sentimentales » qu’on écoute en établissement. « Etoile des neiges, c’est vraiment une horreur pour moi ! On aime bien donner ça parce qu’on croit que tout le monde va chanter et que tout le monde est heureux de chanter les vieilles chansons. » Yvonne témoigne : « il faut que je m’organise pour mentir. Surtout, au fur et à mesure que le temps passe, les enfants se permettent encore plus, ils deviennent vos parents. D’une façon, quelquefois, qui est très difficile à vivre. Mais on les comprend. Il y a une lassitude à faire des efforts pour les parents. » La maison de retraite ? C’est elle qui a voulu y rentrer : « c’est le seul moyen de pouvoir vivre seule en ayant beaucoup de chances de rencontrer des personnes. Ça vous enrichit. Moi, je ne trouve pas que ça soit triste. Mes enfants ne s’attendaient pas à ce que je fasse ça parce que chacun s’attendait à ce que je vive avec. Et dans ma tête, ça n’était pas une chose faisable. Là, ils ont vu le résultat, que j’étais dans quelque chose de vivable et qu’ils pouvaient venir quand ils voulaient, mais que leur vie à eux ne changeait pas. C’est ça que je voulais surtout. » Les autres membres du groupe ont écouté Odile attentivement, mais sont « visiblement interloqués par ce choix. » Isabelle est sceptique, et demande à Odile si elle se plaît dans cette maison de retraite : « ah oui ! Mais vous savez, on se plaît quand on veut se plaire. » Que pensent les personnes malades de ces séances ? « C’était un rêve, chacun est resté soi-même, les choses étaient simples », témoigne Yvonne. « On ne s’est pas écarté du sujet et on a quand même gagné des choses sur les questions qu’on se posait. Ce n’est pas quelque chose de léger, c’est quelque chose de très profond, qu’on n’oubliera jamais. » Yvette ne cesse de soupirer : « Est-ce que je suis déjà venue ? Je ne comprends rien. » Élise lui chuchote de ne rien dire, au risque qu’on ne l’envoie en maison de retraite. Hilarité générale.
www.gerontonews.com, 1er septembre 2016.
www.leparisien.fr/societe/les-malades-d-alzheimer-ont-aussi-leur-mot-a-dire-21-09-2016-6137363.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F, 21 septembre 2016.