L’impuissance thérapeutique
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Le devoir de guérison définit la fonction du thérapeute et fait partie de son identité », écrit la neurologue Agnès Michon, du département des maladies du système nerveux au CHU Pitié Salpêtrière (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). « L’impuissance thérapeutique, la chronicité, mettent à mal cette image, confrontant le soignant à l’échec, à l’angoisse de ne pas pouvoir soulager ou guérir. Il est alors renvoyé à ses incertitudes, à la difficulté à faire face à la souffrance de l’autre. Face à cette expérience du « dés-espoir », de la perte de tout espoir, de l’avancée inéluctable d’un mal, le soignant (professionnel ou proche) peut se trouver happé par l’angoisse et par une émotion qui pousse à agir pour y échapper. Le premier mouvement est de trouver une réponse, et l’absence de solution ne fait qu’augmenter l’angoisse. La réponse est nécessaire, autant pour soulager l’autre que pour se soulager soi-même en ayant fait son devoir. Tant que nous pouvons agir, nous sommes vivants. L’immobilisme, le non-agir, est insupportable. Abandonner l’image de la toute-puissance ne va pas toujours de soi. Cette défaite peut conduire au désinvestissement, à la mise à distance. Il n’est pas rare que ce désinvestissement, que l’on peut observer chez les soignants, alterne avec des périodes de surinvestissement dans une toute-puissance également risquée ». La neurologue estime qu’ « il est important de s’interroger sur le motif et le bien-fondé de l’agir, notre action pouvant être conduite non pas par le désir d’aider mais par la satisfaction du pouvoir. Quand le mal ne peut être vaincu, il est important de pouvoir supporter la défaite et d’apprivoiser notre impuissance comme quelque chose qui peut nous apprendre sur l’autre et sur nous-mêmes. L’échec de la guérison n’appartient pas qu’au thérapeute. La famille y est confrontée, le patient la vit. L’échec confronte au deuil d’une vie “comme avant” , à la perspective d’une dégradation de l’état de santé, à la mort annoncée. L’impuissance thérapeutique nous met à nu, elle met à nu toute la fragilité de l’homme et révèle en même temps tout ce qui fait la force de ces hommes et de ces femmes qui, abattus par la maladie, restent debout. »
Michon A. L’impuissance thérapeutique et ses conséquences. Éthique, sociétés et maladies neuro-dégénératives. Le Journal de l’Espace éthique 2015 ; Hors-série : 19. Septembre 2015.