Le sentiment du soi chez l’aidant
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Mari Wolff Skaalvik et ses collègues, du département des sciences du soin à l’Université de Tromsoe (Norvège), ont interrogé dix personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et vingt aidants familiaux, et ont analysé les expressions linguistiques que les personnes utilisent pour parler d’elles-mêmes. Les chercheurs utilisent la théorie de la construction sociale de Harré (1998), qui distingue trois expressions du soi : le soi n°1 correspond à la façon dont la personne se présente aux autres et à soi en utilisant des termes à la première personne (je, moi, mon…) ; le soi n°2 est associé à des attributs passés, présent ou futurs de la personne, comme des traits de caractère, des compétences et des croyances, qui se manifestent par des actions ou des récits ; le soi n°3 correspond aux façons dont les personnes présentent leur soi n°1 et n°2 aux autres, leur « personnage » social [du latin persona, le masque de l’acteur dans un rôle] et à la façon dont les autres les perçoivent. Les proches aidants des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer déclarent une modification du sens de soi dans les dimensions n°2 et n°3. Ils s’adaptent en permanence et ont trouvé la manière de préserver et d’utiliser leurs attributs avec les meilleures des intentions, malgré les conflits émotionnels rencontrés. Si les aidants trouvent les nouvelles circonstances exigeantes, en raison de la modification de leurs relations avec la personne malade, ils évoquent globalement des émotions positives : les aidants veulent en effet tirer le meilleur parti de la situation, en mettant en avant des attributs tels que l’amour, la fidélité, la loyauté et le devoir, tout en rendant honneur aux souvenirs du passé. Remarquablement, les aidants de l’étude adoptent des attitudes sobres pour les aider à vivre au présent plutôt que de s’inquiéter d’un avenir incertain. Les personnes malades, quant à elles, expriment leur identité personnelle (soi n°1) sans aucune difficulté. Les attributs du concept de soi (soi n°2) ont changé, et les personnes malades ont appris à vivre avec ces changements. De façon surprenante, écrivent les chercheurs, les personnes ayant participé à l’étude montrent peu de difficultés dans leurs récits du soi n°3 (personnage social), c’est-à-dire dans le relevé de leurs interactions avec autrui. Les personnes malades déclarent être reçues positivement lorsqu’elles parlent de leur diagnostic de façon ouverte. Les chercheurs concluent : « ces résultats apportent des nuances complémentaires qui élargissent notre compréhension du processus de maintien du sens de soi, c’est-à-dire à la fois être la même personne et une personne différente. »
Skaalvik MW et al. The experience of self and threats to sense of self among relatives caring for people with Alzheimer’s disease. Dementia 2016; 15(4): 467-480. Juillet 2016. http://dem.sagepub.com/content/15/4/467.abstract. Skaalvik MW et al. Expressions of Sense of Self Among Individuals With Alzheimer’s Disease. Res Theory Nurs Pract. 2016; 30(2):161-175. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27333635.