Expliquer l’humain aux robots
Innovation
Une grande partie des recherches sur les robots, souligne le philosophe Roger-Pol Droit dans Les Échos, concerne « nos relations avec ces machines intelligentes, humanoïdes ou non, l’empathie qu’elles peuvent susciter, et leurs statuts juridique, moral et philosophique. Car ce ne sont plus des objets inertes, sans être à proprement parler des personnes. Ce ne sont évidemment pas des vivants pourvus de sensibilité, mais elles peuvent décider, possèdent une certaine forme d’autonomie et d’indépendance. Élaborer leur statut juridique et moral est nécessaire aussi pour des raisons pratiques. Quand un robot cause un accident, la responsabilité incombe-t-elle à son concepteur, à son propriétaire ? » Roger-Pol Droit ajoute : « un autre aspect, moins souvent mis en lumière, importe peut-être plus. Il concerne tout ce qu’il faut inculquer aux intelligences artificielles du fonctionnement des humains pour éviter des malentendus, voire des catastrophes. Et, là, rien n’est si simple. Car les machines ne savent absolument pas ce qu’est effectivement une sensation corporelle, ni le fait d’avoir conscience, d’éprouver des sentiments, des désirs, des volontés. Tout ce qui fait notre existence charnelle (avoir chaud, froid, faim, sommeil…) et psychique (rêver, imaginer, espérer, craindre, désirer…) leur demeure étranger. Le simple fait de se tromper, universellement humain, reste opaque pour une intelligence artificielle. Dès lors que les interactions entre elles et nous deviennent plus intenses et plus vitales, cette différence des mondes est un défi. Il faut donc expliquer l’humain aux robots. Il s’agit d’inventer les moyens de leur faire intégrer nos fragilités, nos erreurs, nos normes, de leur apprendre les rudiments de notre sensibilité. Ce travail, déjà engagé, n’est sans doute pas assez développé. Il se révèle d’autant plus complexe que nos normes éthiques sont fréquemment en conflit les unes avec les autres : la plupart des décisions concrètes supposent de privilégier un principe, d’en minorer un autre. Sans oublier la part d’irrationnel, la prise de risque, l’audace que requiert souvent une action urgente. »
www.lesechos.fr, 22 avril 2016.