Fragilisation profonde de la perception de soi

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Date de rédaction :
22 août 2015

Pierre Krolak-Salmon, neurologue et gériatre au CHU de Lyon, rappelle que « les maladies neuro-dégénératives représentent des menaces pour la perception d’un patient de sa propre identité du fait de la chronicité de symptômes aux conséquences sévères et intimes. Le “temps” » d’une maladie neuro-dégénérative est long, il induit une fragilisation profonde de la perception de soi. » « Le regard des autres se modifie aux premières erreurs significatives observées par le milieu professionnel ou l’entourage proche, aux premières modifications de la personnalité comme l’irritabilité ou la désinhibition souvent observées dans les dégénérescences lobaires fronto-temporales. Bien avant l’anosognosie [perte de la conscience de sa maladie], les modifications intimes de ses propres performances cognitives, voire de sa personnalité, peuvent certainement être perçues par le patient, ce qui peut engendrer ou renforcer un état dépressif, un trouble anxieux et un retrait social. Ces signes et symptômes, qu’ils soient d’ordre physique, cognitif ou comportemental, vont inexorablement s’aggraver conduisant vers des chutes à répétition par exemple ou une grabatisation, des troubles vésico-sphinctériens et sexuels, ce qui là encore accentue la fragilisation de la confiance en soi et vient bouleverser les éléments intimes de sa propre identité. Certains symptômes moins connus comme les troubles de la perception des messages sociaux, des expressions faciales, venant s’inscrire en miroir d’une altération de sa propre expression des émotions, peuvent fondamentalement modifier les rapports sociaux et induire des difficultés d’interprétation des messages proposés par l’environnement humain, ceci étant particulièrement observé dans la maladie de Parkinson et dans les démences fronto-temporales. La perte de confiance en soi peut être profonde lorsque l’on présente une altération cognitive, notamment mnésique ou langagière, que l’on devient dépendant et que l’on voit son autonomie mise en péril avec une perte des capacités de prise de décision, des capacités de jugement. La précarité sociale, professionnelle, familiale induite par ces symptômes est très invalidante, venant là encore modifier la propre image de sa place dans la société. Les troubles psycho-comportementaux tel qu’ils sont observés précocement ou en cours d’évolution dans la maladie d’Alzheimer, la maladie à corps de Lewy ou les démences fronto-temporales, que ce soit l’apathie très gênante pour les proches, les hallucinations notamment visuelles, les idées délirantes ou l’agressivité et l’agitation, modifient la perception des autres, mais certainement la perception de ce que l’on est en tant que patient et en tant qu’individu. »

Krolak-Salmon P. Fragilités dans le temps long de la maladie. Éthique, sociétés et maladies neuro-dégénératives. Le Journal de l’Espace éthique. Hors-série 2015: 13. Septembre 2015.