Vivre dans l’indéterminé
Société inclusive
« Qu’aurait donc à nous apprendre la maladie de l’époque sur ce que nous sommes, et sur cet autre être-au-monde qui existe à nos côtés ? », s’interroge Lucie Conjard sur le blog La Thébaïde de Médiapart, espace de libre expression. « Sans connaissances scientifiques aucune, il me semble voir dans “l’Alzheimer” une métonymie [désigner un objet ou une idée par un autre terme que celui qui convient, par exemple “boire un verre”] de notre état collectif que nous pouvons déplorer avec rage ou observer et comprendre pour choisir le chemin suivant, pour nous orienter dans l’intermittence du sens. » « A quoi peut bien ressembler le monde lorsqu’on ne sait pas où l’on est, ni qui sont les gens autour de nous? (…) Comme lorsque vous vous éveillez la nuit, de retour chez vous après un long voyage, et que vous ne comprenez pas les signaux visuels que vous recevez. Que peut bien signifier cette tache de lumière ? Il n’y a pas de fenêtre ici normalement, quelle est cette ombre ? Où est posé mon corps ? Est-ce un lit, de l’eau, un animal ? Et qu’est-ce que je touche ? Entends ? Sens ? Est-ce comme ça lorsque la mémoire immédiate vacille ? Une perte de sens de toute forme de perception : et le monde devient une suite de signaux perceptifs ne dessinant aucun paysage. Signaux perceptifs amoindris (…). À aucun moment, on ne comprend mieux ce que veut dire “le sens” que lorsqu’on le perd. » « Accueillir l’indéterminé, l’ouverture, l’inconnu, l’inclassifiable, et toujours en même temps revenir à des déterminations pour pouvoir nommer, agir, connaître, prendre soin, aimer, dans des définitions toujours provisoires… Cet exercice d’équilibre désespéré, où l’objectif ne peut jamais être atteint mais où chaque instant est une victoire, cet exercice auquel s’adonnent sans fierté et en se cachant nos vieux, nos bientôt-amibes chéries, est peut-être celui que nous serions avisés d’essayer. »