Personnaliser, respecter, former

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
01 mars 2009

Sommes-nous devenus trop optimistes ? Il semble bien, à lire aujourd’hui la presse internationale, qu’un nombre croissant de pays commencent à affronter sérieusement les problèmes que pose à la société l’irrésistible montée en puissance de la maladie d’Alzheimer. Aux Etats-Unis, l’Association Alzheimer américaine demande au Président Obama de développer une « stratégie nationale » afin de « faire de la maladie d’Alzheimer une chose du passé (www.alz.org, 25 février). Au Canada, la ministre des Aînés du Québec dépose un projet de loi instituant un soutien de deux cents millions de dollars canadiens (cent vingt millions d’euros) aux proches aidants des malades (www.montrealgazette.com, 15 mars). En Belgique, la ministre des Affaires sociales et de la santé publique annonce une série de mesures qui seront prises en 2009 pour améliorer la prise en charge des personnes malades (www.7sur7.be, 7 mars). Au Portugal, l’Assemblée de la République a adopté à l’unanimité deux projets de loi leur garantissant une protection sociale (www.alzheimerportugal.org, 20 mars).
Puisque les Français ont été parmi les premiers à établir un plan national de lutte, relancé et renforcé pour la troisième fois en 2008, et qu’ils ont pris l’initiative d’une action coordonnée à l’échelle de l’Europe, il est peut-être temps de démêler, à travers les décisions politiques nationales et les très nombreuses initiatives locales, les grands principes qui doivent, nous animer. Trois mots d’ordre semblent aujourd’hui se dégager : personnaliser, respecter, former.

« Reconnaissez que je suis une personne unique » : voilà l’une des revendications majeures des personnes atteintes de la maladie, telle que la formule l’Association Alzheimer des Etats-Unis après avoir analysé les témoignages de personnes au stade précoce (www.alz.org, 12 février).
L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) recommande d’accorder une importance décisive au projet personnalisé de prise en charge, afin d’accompagner la singularité de chaque personne accueillie. Elle préconise d’effectuer, avant l’admission en établissement, une « évaluation multidimensionnelle, comportant une analyse complète et approfondie des besoins et potentialités (état de santé physique, capacités cognitives et sensorielle, autonomie…) et des attentes de la personne, voire des aidants ». Elle recommande « que la participation des aidants soit formalisée dans le projet personnalisé » : leur implication « est souhaitable car elle favorise le maintien du lien affectif et social avec la personne, l’ouverture sur l’extérieur et induit une certaine souplesse de fonctionnement ». En accueil de jour, il convient que le projet « co-construit avec la personne accueillie et ses proches, privilégie les activités valorisant ses capacités, sa créativité », prenne en compte ses centres d’intérêt et « propose des temps d’écoute individuelle ». En accueil de nuit, il est recommandé de « prendre particulièrement en compte les rythmes et habitudes de vie et de sommeil de la personne », de « mettre en place des rituels personnalisés à l’arrivée et au départ », de « permettre à la personne, lorsqu’elle reste plusieurs nuits consécutives, de retrouver la même chambre, d’y laisser ses vêtements de nuit et des objets personnels ». En hébergement temporaire, l’Agence préconise une grande souplesse dans les modalités et les objectifs, de manière à s’adapter à la multiplicité des projets personnalisés » (www.anesm.sante.gouv.fr, février 2009 ; Actualités sociales hebdomadaires, 13 mars).

« 1) Parlez-moi directement, c’est moi la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ; 2) dites la vérité (…) ; 4) prenez–moi au sérieux, quel que soit mon âge ; 5) annoncez la nouvelle dans un langage compréhensible et avec tact »… Ainsi reprend la litanie des revendications exprimées par les personnes atteintes de la maladie (www.alz.org, 12 février). Autrement dit : respectez-moi.
Ici encore l’ANESM se situe dans le droit fil de cette exigence. Elle recommande que « chaque personne conserve une place de sujet à part entière et que sa dignité soit respectée de façon inconditionnelle » (ibid.) De la même façon, le numéro triple du magazine Réalités familiales, édité par l’Union nationale des associations familiales, pose la question : comment respecter la volonté de la personne malade, quand celle-ci n’a plus rien à voir avec ce qu’elle serait sans la maladie ? Quelle intimité lui accorder ? Comment construire un véritable projet de vie avec ceux qui, derrière cette maladie, existent ? (Réalités familiales, décembre 2008 ; Direction(s), mars 2009).
Ce respect implique, en particulier, que les lieux de vie des personnes malades ne soient pas réduits, sans leur consentement, à la seule fonction de lieux de soins. Le docteur Michel Poncet, président de l’Institut de la maladie d’Alzheimer, s’interroge ainsi sur « la pertinence de la surmédicalisation de résidents qui ne demandent rien et qui ont l’air de subir la visite régulière de médecins spécialistes, des séances de stimulation cognitive, de gymnastique collective », même s’il s’agit de bonnes pratiques, dans le cadre de plans de soins scrupuleusement respectés (Actualités et dossiers en santé publique, décembre 2008).
Les aidants familiaux sont, autant que quiconque, tenus à cette obligation de respect. Deux conceptions de l’aide s’affrontent ici : la première la considère comme un fardeau et la personne malade comme une charge. Mais la seconde, plus récente et moins représentée, l’envisage comme une expérience significative pour l’aidant, la personne malade pouvant en être le partenaire. Elle vise désormais le bien vivre d’êtres humains, non une série de tâches à accomplir. Le temps est enfin venu d’une « pratique réflexive » (Psychologie et Neuropsychiatrie du Vieillissement, mars 2009).
L’éthique du respect trouve son acmé dans les ultimes semaines de la vie de la personne malade. Des chercheurs du centre médical de l’Université libre d’Amsterdam ont comparé la fin de vie de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans quatre maisons de retraite, deux proposant une approche traditionnelle des derniers instants et deux une approche centrée sur la personne (dite anthroposophique). Cette dernière montre des scores significativement plus élevés sur trois dimensions : la prise en charge des symptômes, l’évaluation du confort en attendant la mort, et le bien être (Tijdschr Gerontol Geriatr, article en néerlandais, décembre 2008). Pour Georges Arbuz, anthropologue, l’accompagnement des dernières années de vie d’un père ou d’une mère ne se limite pas à l’attention portée à l’état de santé ou au bien être. Il doit être appréhendé dans le cadre des liens tissés tout au long d’une vie. Ce qui est avant tout en question est de permettre à l’un de lâcher prise et à l’autre de se resituer dans la chaîne des générations. Une telle reconstruction de l’image de soi, de la relation à la vie et à l’autre, peut représenter une véritable épreuve (Gérontologie et société, mars 2009).
Respecter la personne malade, c’est aussi prendre garde à ne jamais heurter ses valeurs familiales. L’ANESM recommande ainsi aux équipes des établissements de ne jamais « porter de jugement sur la famille, quelles que soient les difficultés de la situation » (www.anesm.sante.gouv.fr, février 2009). Ne jamais oublier, rappelle l’anthropologue Frédéric Balard, que les personnes les plus âgées continuent à s’appuyer sur « les valeurs qu’elles ont incorporées pendant leur période de réceptivité ». La femme, qu’elle soit mère, épouse, fille ou belle-fille, est culturellement désignée comme celle à qui il incombe de « prendre soin » (Gérontologie et société, décembre 2008, paru en mars 2009). Mais une étude de l’Institut national d’études démographiques montre cependant une diversité grandissante des normes et des comportements, structurés par le parcours personnel, familial et économique (ibid.).

Cette double exigence de personnalisation extrême de la prise en charge et de respect inconditionnel de la personne implique, bien sûr, un nouveau regard sur la maladie, donc un formidable effort de formation et d’information en direction de tous les acteurs.
Il va sans dire que les professionnels de la santé confrontés à la maladie doivent être en première ligne de ce combat. Une recherche-action, menée par la direction générale de la Santé (et à laquelle la Fondation Médéric Alzheimer a participé) montre l’importance d’avoir, en EHPAD, un personnel spécialement formé pour prendre en charge les troubles du comportement et améliorer ainsi la qualité de vie des personnes malades et de leur entourage (Actualités et dossiers en santé publique, décembre 2008). Le rapport de l’ANESM, déjà cité recommande que les personnels intervenant dans les structures soient « qualifiés, spécifiquement formés, soutenus et en nombre suffisant ». Il préconise de leur proposer des actions de formation sur les « savoir-être » et les « savoir-faire » (www.anesm.sante.gouv.fr, février 2009 ; Actualités sociales hebdomadaires, 13 mars). La Faculté de médecine de Lausanne propose ainsi aux étudiants de quatrième année un cours de huit heures en soins palliatifs, intégrant de nouvelles méthodes pédagogiques telles que l’apprentissage par problèmes en petits groupes et l’apprentissage par voie informatique (www.cairn.info/revue-infokara, janvier 2009). Pour faciliter la tâche des professionnels de l’aide à domicile, souvent peu familiarisés avec les problèmes du grand âge, les docteurs JM Vetel et JM Ducoudray vont même jusqu’à élaborer un guide d’entretien à leur intention (Journal du Domicile et des services à la personne, février 2009). Dans le même esprit, deux chercheurs de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) présentent un support de formation sous forme de CD-Rom permettant aux professionnels de mettre en œuvre une relation de soins centrée sur la personne malade (Actualités et dossiers en santé publique, décembre 2008).
Face à la maladie, les aidants familiaux se trouvent souvent placés dans une immense détresse . Pour les aider à mieux comprendre les spécificités de la maladie, l’ANESM préconise d’organiser à leur intention des sessions d’information. Elle conseille aussi aux établissements de les convier régulièrement à participer à des rencontres thématiques avec l’équipe (www.anesm.sante.gouv.fr, février 2009).
Mais peut-être la sensibilisation aux problèmes posés par la maladie d’Alzheimer, qui risque de frapper des proches, doit-elle commencer dès l’enfance. « L’éducation est le facteur primordial d’adhésion à la prévention, et ce, tout au long de la vie », affirme le Pr Françoise Forette, directrice de la Fondation nationale de gérontologie. La maladie d’Alzheimer ne se manifeste pas de la même manière selon le niveau d’éducation : « élevé, il permet au cerveau de compenser les pertes dues aux lésions neuropathologiques. Le fait que 20% d’une classe d’âge ne sache pas lire et écrire convenablement à l’entrée en sixième augmente le risque d’une apparition précoce des symptômes de la démence ». Une initiative a été lancée pour sensibiliser les salariés à la prévention sanitaire sur leur lieu de travail, afin de changer leur comportement, y compris au plan éducatif (Le Monde, 27 février). France Alzheimer et l’association Action et documentation santé de l’Education nationale (ADOSEN) développent ainsi une action pédagogique nationale auprès d’enfants âgés de huit à douze ans (www.sudouest.com, 7 mars).

Qu’en disent les personnes atteintes elles-mêmes de la maladie ? Richard Taylor, soixante-six ans, vit avec la maladie depuis six ans. Il publie sa onzième lettre électronique bimensuelle. Il est intervenu deux fois au Congrès mondial Alzheimer qui vient de se tenir à Singapour. « Assurez-moi, dit-il, que vous êtes ici pour travailler avec moi, que vous m’acceptez comme cela, que vous m’aimez aujourd’hui et demain comme vous m’aimiez hier et le jour d’avant. Aidez-moi gentiment à comprendre mes sentiments d’insécurité et à y faire face (…) Acceptez le fait que nous ne pouvons pas nous comprendre comme nous le faisions… Vivez avec moi… Faites la fête avec moi. (…) Sachez, si vous ne l’avez pas remarqué, qu’un changement s’opère en moi : je réagis moins aux faits qu’aux sentiments. » (www.richardtaylorphd.com, février 2009).
Voilà qui vaut mieux que n’importe quel éditorial.

Jacques Frémontier
Journaliste bénévole